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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 44, mars-avril 2006 > DOSSIER : L’immigration, cible des démagogues

DOSSIER : L’immigration, cible des démagogues

Europe : chacun pour soi, et la police pour tous

Mis en ligne le 11 mars 2006 Convergences Politique

En juillet 2005 s’est tenu à Évian un sommet des ministres de l’Intérieur britannique, allemand, italien, espagnol et français, réunis autour du problème de « l’immigration irrégulière ». L’annonce la plus médiatisée a été celle de l’organisation de « charters européens », affrétés en commun pour expulser des immigrés clandestins en remplissant les avions.

Une coopération d’abord policière

Le sommet a été l’occasion d’un renforcement de la coopération entre les différentes polices pour la répression de l’immigration. Accords techniques sur de nouveaux visas biométriques, création d’un « cadre de référence » pour la législation sur le regroupement familial, harmonisation et contrôle commun des éventuelles campagnes de régularisation de sans-papiers... Et, surtout, création d’un dispositif commun de surveillance maritime en Méditerranée entre l’Espagne, la France et l’Italie, encouragés par l’Union à sous-traiter à leur tour le flicage des clandestins, toujours plus au sud.

L’Italie a financé la construction de trois centres de détention en Libye. Et, sur son propre sol, où la durée de détention administrative des sans-papiers est de deux mois, une directive européenne la porte à six mois, comme dans le reste de l’Union [1]. La loi Bossi/Fini de 2002 a par ailleurs généralisé les centres « d’identification », c’est-à-dire de détention provisoire, interdits de visite aux organisations humanitaires et aux journalistes.

Malte est un cas plus typique encore. L’île de 400 000 habitants a vu passer le nombre de ses boat people de quelques dizaines au début des années 1980 à plusieurs centaines dans les années 1990, et plus de 1 500 par an au début des années 2000. Pour pouvoir entrer dans l’Union européenne au 1er mai 2004, le pays a dû fournir la garantie qu’il exercerait un certain contrôle sur les candidats à l’immigration. Les demandeurs d’asile à Malte sont désormais enfermés dans des « reception centers », où 7 % seulement reçoivent le statut de réfugié. Malte accorde cependant à plus de 40 % des clandestins un statut « humanitaire », fait pour les inciter à quitter l’île (ils n’ont pas le droit d’y travailler).

À chacun son « immigration choisie »

L’Espagne, qui a de gros besoins en main d’œuvre agricole, se livre de temps à autre à des campagnes de régularisation partielle de sans-papiers. La dernière remonte au printemps 2005. Le gouvernement socialiste de Zapatero avait alors annoncé la régularisation de 700 000 clandestins. Mais les candidats devaient effectuer un véritable parcours du combattant, et notamment justifier d’un contrat de travail de six mois fourni par leur patron. Lors des quinze premiers jours de l’opération, on a donc assisté à 58 000 licenciements de sans-papiers, soit plus que le nombre de candidats durant la même période. Finalement la moitié environ du nombre estimé de clandestins n’ont pas été régularisés (et se retrouvent de ce fait dans une situation de plus grande précarité qu’avant l’opération).

La Grande-Bretagne pratique, à plus grande échelle et avec plus de constance, cette double politique d’importation d’immigrés et de restriction de leurs droits. Le New Labour de Blair défend officiellement la thèse que « l’immigration profite au Royaume-Uni ». Le nombre de permis de travail accordés a presque triplé entre 1997 et 2003, passant de 54 000 à 154 000. Le marché du travail s’est notamment ouvert à la main d’œuvre fournie par les nouveaux entrants de l’Est européen, mais leurs salaires sont parmi les plus bas, et les avantages sociaux auxquels ils ont droit sont très inférieurs à ceux de citoyens britanniques. Les ressortissants de pays extérieurs à l’Union européenne sont, eux, exclus de ces avantages sociaux pendant quatre ans, une période que le gouvernement envisage de porter à cinq. Pour le regroupement familial, la période d’attente avant que les conjoints obtiennent un droit permanent au séjour est passée d’un an à deux. Et le nombre de sans-papiers de toutes origines augmente.

L’Allemagne fait appel à des travailleurs d’immigration « lointaine » (notamment turque), mais la proximité des anciens pays du bloc soviétique lui donne un accès plus immédiat encore à un réservoir quasi illimité de main d’œuvre qualifiée et extrêmement peu coûteuse. Cela lui permet une politique « d’approvisionnement » très souple, quitte à renvoyer les travailleurs périodiquement dans leur pays d’origine. La République fédérale utilise depuis des années des accords bilatéraux passés avec la Pologne, la Roumanie, la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque, la Croatie, la Slovénie et la Bulgarie pour pouvoir y recruter d’abord des ouvriers agricoles saisonniers dont le séjour est limité à trois mois. Les salaires et les conditions de travail sont censés être équivalents à ceux des travailleurs allemands... mais la règle a ses exceptions : si l’ouvrier ne travaille pas plus de 50 jours, il n’a plus ni devoirs ni droits. Ces dernières années, on estime que 15 % seulement des saisonniers agricoles enregistrés par l’Office d’emploi fédéral étaient inscrits à la sécurité sociale, en toute légalité.

Depuis le 1er janvier 2005, l’Allemagne s’est dotée d’une nouvelle loi sur l’immigration, vantée comme « la plus moderne d’Europe ». Cette loi renforce la surveillance des immigrés en les contraignant à suivre des « cours d’intégration », précisant que « les étrangers qui vivent déjà en Allemagne, qui touchent l’indemnité de chômage (...) et sont faiblement intégrés, peuvent également être contraints d’y participer, sous peine de voir diminuer leurs indemnités ». Les anciens titres de séjour de cinq ans sont bien remplacés par une autorisation permanente... mais elle ne concerne que « les étrangers hautement qualifiés (les ingénieurs ou les personnes exerçant des responsabilités dans le domaine scientifique, par exemple) ».

Le problème des gouvernements européens n’est pas d’arrêter l’immigration, ce qu’ils savent de toute façon impossible. Le « livre vert » de la Commission européenne écrit explicitement que, d’ici 2030, l’Europe devra faire appel à plus de 20 millions d’immigrés. Si les règles se durcissent ainsi partout dans le cadre européen, elles sont en même temps suffisamment souples pour laisser aux États nationaux le plus grand contrôle sur les vannes de l’immigration, selon l’évolution des besoins en main-d’œuvre bon marché.

Benoît MARCHAND


[1Cette même directive prévoit qu’un immigré expulsé d’un pays de l’Union l’est automatiquement de tous les autres. Disposition non réversible : pour l’entrée, en revanche, chaque pays reste indépendant...

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