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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 1, janvier-février 1999 > DOSSIER : Loi Aubry, le piège

DOSSIER : Loi Aubry, le piège

Et maintenant ? Les objectifs gouvernementaux et patronaux.

Mis en ligne le 1er février 1999 Convergences Politique

Les directions syndicales, notamment la CGT essayent de nous faire oublier les problèmes posés par la loi Aubry. Les accords seront ce que les travailleurs imposeront et la seconde loi celle que nous obligerons le parlement à voter, disent-elles.

C’est bien une sorte d’aveu, au moins implicite : nous ne devons pas compter simplement sur la majorité de la gauche plurielle pour imposer la politique voulue par les travailleurs. Mais alors à quoi bon l’élire pourrait-on se demander ?

De toute façon le débat au sujet de seconde loi est un leurre pour deux raisons essentielles.

La première tient à la structure de l’actuelle loi qui vise à provoquer des négociations entreprise par entreprise en fonction des contraintes patronales. Rien de global, de généralisable ne pourra sortir de ces accords. Les seules exigences d’Aubry sont très minces : ne pas dépasser les limites légales actuelles (10h jour, 46h par semaine). Des situations seront réglées, souvent mal, dans de nombreux secteurs, au coup par coup. Cela ne permettra pas de réunifier les travailleurs dont les revendications auront été émiettées par tous ces accords locaux.

La seconde est que cette loi est déjà quasiment écrite. Aubry elle-même a donné une interview en octobre pour préciser ses intentions, au moment même où paraissait un livre de deux de ses proches, Gilbert Cette et Dominique Taddei.

Un SMIC à deux vitesses

La première préoccupation concerne le salaire. Nos gouvernants ne veulent pas imposer la diminution du temps de travail sans perte de salaire, mais pour les smicards ce n’est vraiment pas acceptable. Alors ils prévoient le maintien du salaire pour ceux-là. Du coup on risque d’avoir au moins deux échelles de salaires, celle des smicards et celles des travailleurs ayant perdu une part de leur salaire, sans compter celle des éventuels embauchés. Dans ces cas-là, les patrons s’aligneront sur la solution la plus avantageuse pour eux. De même pour les temps partiels : comment éviter qu’un salarié à 35 h payées 39 travaille à coté d’un temps partiel à 30 h payées 30 ?

Aubry prévient : il faut trouver des solutions au cas par cas, l’employeur pouvant progressivement réduire les primes, et augmenter moins les salaires !

Le seul point qui n’est pas encore fixé : est-ce que les heures supplémentaires de 35 à 39h seront payées à 25% ou à moins. Martine Aubry a déjà assuré que la nouvelle loi la fixerait à un maximum de 25% (soit le taux actuel le plus bas) : façon pudique de dire que cette majoration ne peut que diminuer, sinon disparaître puisque déjà des accords ne prévoient la majoration qu’à partir d’un certain nombre d’heures supplémentaires sur l’année (voir dans le textile par exemple).

Dans la volonté de trouver les moyens de ne pas diminuer le temps de travail tout en disant que la durée effective de travail diminue, l’idée avancée par la ministre est de faire évoluer la règle selon laquelle la formation professionnelle doit être prise sur le temps de travail.

Emietter les luttes ouvrières

Cet émiettement existe déjà, mais la généralisation des négociations secteur par secteur, entreprise par entreprise, va l’accentuer. Dès lors que les conditions de décompte du travail, d’organisation du temps, des repos, seront fixés par des accords et plus par des lois, il n’y aura plus de moyen de pression unique perceptible par les travailleurs. Chacun aura ses négociations, ses problèmes et les mobilisations se feront à des dates et selon des objectifs séparés. Le patronat et le gouvernement auront ainsi fait de nouveaux pas dans l’éclatement des capacités de riposte de la classe ouvrière, tant ce qu’ils craignent le plus est la mobilisation unie des travailleurs, la grève générale, qui remet en cause la validité de leur pouvoir.

De prétendus nouveaux pouvoirs aux syndicats dans l’entreprise...

Il y a 16 ans les règles concernant la durée du travail étaient réglementées, maintenant elles vont être élaborées et contrôlées boite par boite par les patrons et les syndicats, avec quelques limites légales.

Selon les conseillers d’Aubry il est exclu, car irréaliste, de demander à l’inspection du travail de contrôler tous les établissements. Certes il n’y a ni les effectifs ni les moyens légaux pour cela, mais de tels conseils sont un appel à la tricherie des patrons à qui ils disent : on vous aide, on ne contrôlera pas ce que vous faites, négociez le contrôle dans les accords. Comme ça les syndicalistes seront censés faire le travail de l’inspection du travail, chose impossible et qui surtout n’aura aucune conséquence en cas d’infractions. On touche ici un autre objectif très important de la ministre.

Il est indiscutable que l’on ne peut pas faire confiance à la loi en tant que telle pour défendre les travailleurs, mais souvent elle est la survivance d’un rapport de force et maintient des acquis. Elle unifie leur situation à tous, ce qui leur donne le même objectif quand ils se mobilisent. Nous les révolutionnaires savons que les patrons et les bureaucrates syndicaux font tout pour éviter la mobilisation unie des travailleurs autour de revendications uniques, qui centralisent les affrontements, leur donnent une dynamique politique de remise en cause de l’ordre existant. Ils préfèrent tous qu’on discute entreprise par entreprise, là où il est le plus difficile d’avoir un bon rapport de forces.

La bourgeoisie veut impliquer tous les syndicats dans la négociation à froid, hors de toutes mobilisations. La négociation a lieu non pas pour répondre à des revendications, à une lutte, mais aux besoins patronaux, aux désirs gouvernementaux. Les dirigeants syndicaux discutent alors sans aucun contrôle des travailleurs, parfois le dos au mur. Vu sous cet angle le mandatement, généralisé par la loi Aubry, est certainement la meilleure arme contre les syndicalistes lutte de classe. Il permet la conclusion d’accords d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail avec un salarié simplement mandaté par un syndicat, avec ou sans syndiqués dans l’entreprise. Cela ne veut pas dire qu’ici ou là des travailleurs ne saisiront pas cette occasion pour créer de vrais syndicats mais ce sera bien rare. Aujourd’hui ce sont des patrons qui contactent les syndicats pour qu’ils mandatent un salarié pour négocier. Quelle peut être la valeur de tels mandatés ?

...pour modifier leur place dans la société

Toutes les confédérations syndicales se sont précipitées vers le mandatement, y compris la CGT, sans aucune exigence de création d’une vraie section syndicale. Ils cherchent tous à ne pas laisser la place aux autres, ce qui les conduit à accepter dans les PME n’importe quel accord, sans garantie, sans débat avec les travailleurs, sous prétexte d’être présents. Il y a là un véritable enjeu pour tous les travailleurs combatifs, pour tous ceux qui veulent changer la société. L’objectif du gouvernement et du patronat est d’aligner tous les syndicalistes sur la conception du syndicat de Notat. La CGT qui était un des pôles de résistance, avec ses limites, à cette évolution, a choisi son camp : celui du syndicalisme de proposition, reléguant aux oubliettes les références au syndicalisme de combat, de lutte de classes.

Certes, cela provoque d’importants débats en son sein. Les jeux ne sont pas faits. Les gouvernants n’ont pour le moment pas réussi complètement, mais ils ont plusieurs points d’appui pour avancer.

D’une part le gouvernement actuel contre lequel les directions syndicales amies ne feront rien, d’autre part la faiblesse des luttes qui laisse une marge de manœuvre plus importante aux bureaucrates.

Depuis la grève de novembre décembre 1995, la CFDT a réussi à museler son opposition interne, et la CGT se tourne vers elle. Le pôle SUD, FSU, CGT et plus loin FO, contre le participationisme de la CFDT n’existe plus. Cette évolution va dans le sens voulu par les possédants. Elle laisse aussi une place plus grande aux militants lutte de classe, en dévoilant plus nettement le vrai visage des dirigeants syndicaux. Les luttes des mois et années à venir trancheront ce débat dans lequel nous devons prendre toute notre place.

Charles PAZ


Ce n’est pas nous qui le disons

Le « Wall Street Journal », journal ultra-libéral américain, s’est penché sur la Loi Aubry. Pour lui « Les premiers signes sont mêmes encourageants. Dans un pays où les conflits du travail provoquent d’innombrables grèves, cette loi a permis pour la première fois de dépassionner les négociations. Elle a également accéléré l’abandon des conventions collectives rigides, signées à l’échelle nationale, au profit d’accords adaptés aux besoins spécifiques de chaque entreprise. Mais surtout elle a donné le coup d’envoi d’une vague de réorganisations qui pourrait améliorer les capacités d’adaptation des entreprises. »

(dans Courrier International n°419 du 12 au 18 novembre 98)

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