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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 75, avril-mai 2011

Égypte : Référendum pourri pour Constitution réactionnaire

Mis en ligne le 22 avril 2011 Convergences Monde

À la suite du référendum sur les amendements constitutionnels, qui s’est tenu en Égypte le 19 mars dernier, Mohamed Hussein Yaqoub, un éminent imam salafiste (c’est-à-dire partisan d’un islam rigoriste du type de celui qui est actuellement en place en Arabie Saoudite) a déclaré que « la religion était la grande gagnante de cette consultation ». Il a poursuivi, dans un discours prononcé au lendemain du référendum et dont la vidéo a été postée sur son site Internet, « ceux qui ont voté ‘non’ au référendum connaissent aujourd’hui leur propre destinée ainsi que celle de la religion » [1].

En fait, ce référendum a été voulu et organisé par l’armée pour tenter de refermer rapidement la parenthèse révolutionnaire qui a conduit au départ de Moubarak. L’état-major voulait précipiter la remise au pas (si possible en douceur, avec la complicité des islamistes de tout poil) de la population laborieuse qui s’est mise à rêver d’un monde meilleur. Les militaires n’avaient d’ailleurs donné que dix jours à un groupe d’experts – dont certains proches des salafistes et des Frères musul­mans – pour modifier a minima la Constitution afin de permettre la levée de l’état d’urgence et de faciliter plusieurs candidatures aux prochaines élections présidentielles. Le président de la Haute commission pour le référendum, Mohamed Atteya, avait prévenu : « Si les modifications constitutionnelles sont rejetées, nous serons face à un vide législatif, qui sera comblé par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui gouvernera par décret ». Donc soit le « oui » l’emportait, soit l’armée restait au pouvoir. Quant à la question posée, qui portait sur la modification des articles 76, 77, 88, 93, 179 et 189 de la Constitution, elle n’était vraiment compréhensible que pour des spécialistes du droit constitutionnel.

Les militaires ont donc fait campagne pour le « oui » en compagnie des membres de l’ex-Parti national démocratique de Moubarak qui quadrillent encore le pays et sont étroitement imbriqués dans l’appareil d’État. Ils ont été rejoints par les Frères musulmans et certains groupes salafistes qui avaient demandé à leurs partisans de voter en faveur des changements proposés, lesquels préservaient la disposition de la Constitution faisant de l’Islam la principale source de la législation. Ces mêmes salafistes qui ont fait monter la tension religieuse pendant la campagne en organisant, sans doute avec la complicité de la police, l’assassinat de plusieurs coptes (chrétiens d’Égypte) dans le quartier des chiffonniers du Caire.

Un plébiscite

Bref on assistait à nouveau à l’alliance traditionnelle du sabre et du goupillon (si l’on peut employer cette expression pour un pays à majorité musulmane). La question posée n’avait guère d’importance. L’opération consistait simplement à plébisciter l’armée et ses alliés pour instaurer un retour « à la normale ».

C’est d’ailleurs sur la même lancée que, quelques jours après le référendum, le 23 mars, le gouvernement provisoire avait rédigé un projet de loi prévoyant l’interdiction de toute grève, manifestation, occupation ou toute autre forme de protestation qui porteraient atteinte à l’activité des entreprises d’État ou privées et/ou nuiraient à l’économie. Ce projet n’a pas encore reçu l’approbation du CSFA mais cela ne saurait tarder.

Face à la coalition armée/ex-PNDistes/religieux, les partisans du « non » pesaient peu. Ils se trouvaient principalement parmi les groupes de jeunes qui avaient été à l’origine de la révolution égyptienne, chez les adhérents des petites formations du centre, de gauche et d’extrême gauche, voire parmi les supporters des trois « présidentiables » déjà déclarés, le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, le prix Nobel de la Paix, Mohamed El Baradei, et Ayman Nour, opposant historique à Moubarak [2].

Si le « oui » l’a emporté sans surprise, la mobilisation des Égyptiens n’a été que relative. Sur 45 millions d’électeurs appelés aux urnes, seuls un peu plus de 18 millions se sont rendus dans les bureaux de vote (40 %). Sur ce nombre, 14 millions ont voté « oui » (77 %) et 4,2 millions ont voté « non » (23 %). C’est-à-dire que les modifications constitutionnelles ont été approuvées par un électeur égyptien sur cinq. C’est loin d’être un triomphe.

Des restrictions réactionnaires et racistes

Certes, à la prochaine élection présidentielle prévue en décembre, il pourra y avoir plusieurs candidats, comme cela avait été possible, pour la première fois en Égypte, à la dernière élection présidentielle en 2005. Mais les restrictions aux candidatures sont ouvertement réactionnaires et racistes. En effet, les candidats doivent être égyptiens de père et de mère, ne pas avoir une double nationalité, mais aussi pas d’ascendants d’origine étrangère, et ne pas être mariés avec une femme d’origine étrangère ou ayant des parents étrangers (ce qui exclut El Baradei marié à une Iranienne). Le jeu a toutes les chances d’être aussi pipé qu’en 2005, quand Moubarak avait été élu par 88,6 % des voix, les 11 % restants étant partagés entre les huit autres candidats.

De plus, le maintien de l’article 2 qui stipule que « L’Islam est la religion de l’État dont la langue officielle est l’arabe ; les principes de la loi islamique (Charia) constituent la source principale de législation », justifie les nombreuses injustices dont souffrent les minorités religieuses. Il interdit en fait aux coptes non seulement de se présenter à la présidence mais également d’exercer librement certaines professions, de prétendre à des fonctions importantes dans les services publics, de pratiquer librement leur croyance, de se marier sans conditions, de changer de croyance ou de ne pas en avoir, etc. De plus, en vertu de l’interprétation de la Charia, la femme est privée de son libre arbitre et de certains droits tels que celui de voyager sans autorisation, de divorcer, ou de jouir d’une part égale dans l’héritage. Son témoignage en justice vaut la moitié de celui d’un homme. Et, bien entendu, elle ne peut de fait être candidate à la présidentielle et encore moins présidente.

Comme on le voit « l’ouverture démocratique » que devait apporter ce référendum est largement factice. Aujourd’hui, nombre de participants aux manifestations qui ont chassé Moubarak, et qui se battaient pour une nouvelle constitution laïque et démocratique, crient à la trahison. L’armée n’en a cure. Elle compte sur les prochaines élections législatives prévues en septembre prochain – avant que les opposants puissent sérieusement s’organiser à l’échelle nationale – pour les faire taire et continuer à détenir l’essentiel du pouvoir à travers un Parlement à sa botte, composé de caciques du régime, d’ex-notables liés à Moubarak et de Frères musulmans.

La lutte continue

Le jour même du référendum, des manifestations – où se retrouvaient côte à côte ouvriers agricoles d’État, petits paysans et handicapés – avaient lieu devant le Parlement. De même, le 27 mars, la Fédération des syndicats indépendants organisait des manifestations dans plusieurs villes d’Égypte pour protester contre le projet de loi anti-grève. Et, le 4 avril, plusieurs milliers d’ouvriers occupaient une des plus importantes usines nationalisées d’armement à Abou Zaabal, au nord du Caire, pour la défense de leur fonds de retraites [3].

La classe ouvrière égyptienne est donc loin d’avoir dit son dernier mot. Ce qui comptera à l’avenir sera sa capacité à s’organiser et à avoir sa propre politique de classe. Le potentiel de combativité qu’elle a montré ces derniers mois, tout comme la détermination des jeunes qui continuent à manifester dans les rues du Caire contre le pouvoir militaire, est plein de promesses pour le futur de la révolution égyptienne ».

8 avril 2011

Jean LIEVIN


[1Voir notamment les articles d’Alfi Malek dans « Le Journal de la Méditerranée » en ligne : http://www.lejmed.fr.

[2Avaient appelé à voter « Non » 16 formations du centre et de la gauche modérée (Wafd, Ghad, parti nassérien, Tagamnu, Alliance populaire, Association nationale pour le changement...) ainsi que les jeunes de la Coalition du 25 janvier, du Mouvement du 6 avril, du Collectif Kefaya et également la Fédération des syndicats indépendants.

[3Al Ahram on-line, 6 avril.

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Réactions à cet article

  • Après tout un dosier de la revue et six « éditos de bulletin d’entreprise » titrés « ....révolution tunisienne... » vous ne trouvez plus un seul mot sur cette vaste soulèvement populaire ? Il faudrait au moins revenir sur un tel évènement qui ne se passe pas chaque décennie ! Et en plus : vu les 25000 pauvres qui ont réussi à rammasser les frais énormes pour fuir ce pays en révolte. En tous cas il en errent un millier dans les rues de Paris ! Ou ètes vous enfin tombez sur le dernier CLT mettant l’évènement dans son contexte historique ? Si non, je vous propose une citation du discours de Trotsky de 1932 (p.2) : « ...Mais même l’activité la plus fougueuse peut rester au niveau d’une démonstration, d’une rébellion, sans s’élever à la hauteur de la révolution. Le soulèvement des masses doit mener au renversement de la domination d’une classe et à l’établissement de la domination d’une autre. C’est alors seulement que nous avons une révolution achevée. Le soulèvement des masses n’est pas une entreprise isolée que l’on peut déclencher à son gré. Il représente un élément objectivement conditionné dans le développement de la société. Mais les conditions du soulèvement existent-elles, on ne doit pas attendre passivement, la bouche ouverte : dans les affaires humaines aussi ; il y a comme le dit Shakespeare, des flux et des reflux : »There is a tide in the affairs of men which, taken at the flood, leads on to fortune".... Un abonné qui n’a pas oublié ce que vous avez écrit dans le n° précedent

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    • Cher abonné, nous te signalons que dans l’article « De Solenzara à Tripoli : L’armada occidentale au secours des dictatures de rechange, pas des révolutions ! » du numéro 75 de notre revue, nous revenions aussi sur l’évolution de la situation tunisienne, au sein de l’article qui faisait alors le point de la situation en Egypte et de l’intervention impérialiste en Lybie.

      La vague révolutionnaire continue à se propager dans le monde arabe, comme en Syrie aujourd’hui. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une « révolution achevée » comme la Révolution russe de 1917, l’objet de l’extrait du discours de Trotsky !

      Nous sommes bien d’accord avec toi que de tels évènements sont rares. Une telle intervention des masses, où des travailleurs se sont posés le problème de s’organiser, où ils continuent à lutter, on n’en avait pas vu depuis longtemps. Nous continuerons bien sûr à en suivre l’évolution concrète dans nos prochaines publications.

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Numéro 75, avril-mai 2011