Économie allemande : un « modèle » pour les patrons, pas pour les travailleurs !
Mis en ligne le 25 mars 2012 Convergences Monde
Au début de l’année, Sarkozy, Fillon et la patronne du Medef ne tarissaient pas d’éloges sur le « modèle allemand », une économie « qui marche », compétitive et dont la France ferait bien de s’inspirer. L’envers du « modèle », les travailleurs d’outre-Rhin le connaissent bien, car ils en sont depuis de nombreuses années les victimes : diminution des salaires, flexibilisation du marché du travail pour en abaisser le prétendu « coût », subvention des patrons, tailles dans les budgets sociaux (aide sociale, santé, éducation), harcèlement des chômeurs, réduction de leurs allocations, diminution des retraites. L’ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder a brutalement appliqué, Angela Merkel a poursuivi.
Hausse du chômage et de la précarité
Après 1990, les firmes ouest-allemandes, encouragées par les subventions étatiques et les exonérations fiscales faisaient main basse sur des pans entiers de l’économie de l’ex-RDA, que l’État leur offrait par la privatisation. Résultat : les ex-grandes entreprises étaient démantelées, leurs salariés privés d’emploi ou réembauchés ailleurs avec un statut généralement précaire. En 1991, les salaires payés à l’Est n’atteignaient pas la moitié de ceux de l’Ouest (48 %) et ils leur sont actuellement encore inférieurs de 17 %. Une aubaine pour les patrons qui disposaient ainsi d’une main-d’œuvre bien formée et moins chère. Si le chômage augmentait aussi en Allemagne de l’Ouest, il frappait plus particulièrement les nouveaux Länder. En 2005, il connut un pic avec 9,9 % de chômeurs à l’Ouest et presque le double (18,7 %) à l’Est, soit 4 860 900 sans emploi pour toute l’Allemagne. Face à cette déferlante, patronat et gouvernement prétendirent combattre le chômage en recourant massivement au travail partiel et à toute une gamme d’emplois précaires.
Les lois Hartz : une offensive en règle…
Entre 2003 et 2005, le chancelier social-démocrate (SPD) Gerhard Schröder, au pouvoir depuis 1998, chargea Peter Hartz, directeur du personnel de Volkswagen, de réformer le marché du travail. Parmi les quatre lois Hartz votées, deux sont une déclaration de guerre aux salariés et aux chômeurs.
La loi Harz II a créé les Mini-jobs (contrats précaires à 400 euros maximum par mois, sans assurance maladie [1], n’ouvrant aucun droit à la retraite, mais pour lesquels l’employeur est exonéré de charges) et les Midi-jobs payés entre 400 et 800 euros. Allègement des budgets ouvriers, mais allègement aussi des statistiques du chômage – avantage non des moindres pour le gouvernement !
La loi Hartz IV a fait passer la durée de versement de l’allocation chômage de 32 mois à seulement 12 mois (18 mois pour les plus de 55 ans). Au-delà, le chômeur perçoit l’allocation chômage de longue durée, fixée actuellement à 374 euros par mois. Par ailleurs, les chômeurs qui refusent un emploi en dessous de leur qualification ou dont la famille a des économies, peuvent voir leurs indemnités réduites. Ils sont tenus aussi d’accepter les emplois à 1 euro de l’heure [2] qu’on leur propose pour des travaux d’utilité publique sous peine de voir leur allocation réduite, voire supprimée.
Ces mesures entraînèrent de nombreuses manifestations, surtout en ex-RDA. À juste titre, le chancelier social-démocrate fut qualifié de « camarade des patrons » (der Genosse der Bosse).
Les directions syndicales complices
Sous prétexte de favoriser l’emploi en rendant l’économie plus compétitive, les dirigeants syndicaux se firent complices de cette politique : en gestionnaires solidaires des intérêts patronaux et depuis longtemps pratiquants la cogestion (= Mitbestimmung), ils défendirent la « modération salariale » et laissèrent les salariés désarmés face au patronat qui faisait le chantage : un emploi partiel ou le chômage. Mais Schröder en 2005 se vantait d’avoir « créé tout un secteur du marché du travail où les salaires sont bas », tandis que son collègue Frank-Walter Steinmeier, candidat SPD aux élections fédérales de 2009, félicitait à nouveau les syndicats pour leurs « efforts de modération salariale ».
Une économie dopée aux emplois précaires
Le gouvernement d’Angela Merkel qui a succédé à Schröder en 2005, et les patrons bien évidemment, poursuivent cette politique et vantent le travail partiel comme l’arme pour combattre le chômage. À voir. Car en janvier 2012, malgré une jeunesse moins nombreuse à arriver sur le marché du travail qu’en France ou dans les autres pays d’Europe, à cause du déficit démographique, ce fléau touche tout de même 3 081 706 personnes, soit 7,3 % de la population active, 6,2 % à l’Ouest et 11,9 % dans les nouveaux Länder (chiffres de l’agence fédérale pour l’emploi).
En même temps, les emplois précaires explosent (CDD, temps partiel, mini-job, intérim). En général, les stagiaires et les apprentis forment une catégorie particulièrement exploitée : les étudiants en sciences humaines, en particulier, exercent souvent, comme stagiaires sous-payés, des emplois qualifiés à la place de salariés en CDI qui coûteraient beaucoup plus cher à l’employeur. Les apprentis ne sont pas à meilleure enseigne. En Saxe, un apprenti coiffeur percevait un salaire horaire de 3,06 euros brut et, en Thuringe, celui d’un fleuriste était à peine supérieur : 4,54 euros brut (chiffres de 2010). La même année, les apprentis allemands gagnaient en moyenne 600 euros par mois.
Bref, une baisse généralisée et spectaculaire des salaires, dans un pays où il n’y a pas de salaire minimum légal, mais un minimum instauré dans certaines branches. Seulement 2,7 millions de salariés répartis dans une dizaine de branches en bénéficient, comme les ouvriers du Bâtiment, le personnel de nettoyage ou les électriciens. Les salaires sont matière à négociations par branches ou par entreprise – cette dernière se substituant de plus en plus aux conventions collectives de branches, ce qui rend une lutte d’ensemble plus difficile. Si un salaire minimum a été instauré depuis janvier 2012 dans le secteur de l’intérim, le travail intérimaire reste plus mal payé que les emplois stables. Il a connu en 10 ans une hausse de 134 %, et comptait 910 000 salariés en 2011. Un emploi intérimaire sur deux dure moins de trois mois (chiffres de l’Agence fédérale pour l’emploi). Les postes d’intérim sont fréquents dans l’industrie automobile : par exemple, le trust BMW emploie 11 000 intérimaires pour 70 000 salariés, estime Horst Lischka, un dirigeant du syndicat de la métallurgie (IG Metall).
Le fossé entre riches et pauvres se creuse
D’après Jürgen Trittin, ancien ministre du parti Vert, le nombre des millionnaires allemands a augmenté malgré la crise pour passer à plus de 900 000 en 2011. Le revenu des riches du décile supérieur a augmenté de 17 % entre 1999 et 2009. En 2002, ils possédaient 58 % de la richesse et plus de 60 % en 2011. Mieux encore, le quart de la richesse nationale appartenait à 1 % des plus riches, montrant que le slogan des manifestants du mouvement « Occupy Wall Street » – « Nous sommes les 99 % » – s’applique aussi à l’Allemagne.
À l’opposé, le décile des Allemands les plus pauvres avait en 2009 un revenu inférieur à celui de 1992, selon Markus Grabka, chercheur à l’Institut allemand de recherche économique. Plus de 11 millions de personnes, retraités, travailleurs pauvres, chômeurs, enfants, sont considérées comme pauvres. En 2011, sur les 7,4 millions recourant à des mini-jobs, près de 2,5 millions n’avaient que ce salaire pour vivre. Du côté des retraites, le futur s’annonce peu radieux : de l’aveu même du gouvernement Merkel, le niveau des retraites baissera en 2025 de 10 % encore par rapport au niveau actuel, pourtant déjà le plus bas d’Europe, selon une étude de l’OCDE parue en 2009.
L’Allemagne est-elle donc ce modèle à suivre, comme l’affirment dans l’Hexagone les politiciens de l’UMP et les patrons, béats devant ses records à l’exportation et sa croissance de 3 % du PNB en 2011… mais seulement 0,6 % en 2012 (selon l’Institut allemand de recherche économique) ? Du prétendu « miracle » des années d’après-guerre au « miracle » actuel, les classes dominantes d’Allemagne, comme partout, n’ont jamais connu d’autre poule aux œufs d’or que l’exploitation accrue des travailleurs. Jusqu’à ce que ça pète !
Charles BOSCO
Des retraités pauvres…
L’explosion des emplois précaires et le recul de l’âge du départ en retraite qui va progressivement passer à 67 ans à partir du 1er janvier 2012, aggrave une paupérisation croissante parmi les petits retraités, avertissent certains experts. En 2011, ils étaient 660 000 à devoir travailler pour compléter leur retraite trop faible avec de petits boulots du type mini-jobs.
… et des enfants pauvres
L’extension rapide du secteur à bas salaires entraîne aussi l’augmentation du nombre d’enfants pauvres. Bien que l’Allemagne soit la quatrième puissance économique du monde et le pays d’Europe où les enfants sont les moins nombreux (seulement 16,5 % de moins de 18 ans), 15 % d’entre eux sont pauvres, d’après l’Office fédéral des statistiques d’août 2011 : ce sont les enfants dont les parents sont chômeurs de longue durée, ou salariés précaires.
[1] En fait, les travailleurs concernés sont couverts par une assurance médicale quand le mini-job est un deuxième emploi, ou parce que l’État prend en charge, mais, effectivement, ni le patron ni le salarié avec ces 400 euros maxi ne payent pour l’assurance maladie.
[2] En fait les dénommés « Ein-Euro-Jobs » sont rémunérés aux environs de 1,50 euro, mais ça ne fait vraiment pas une grosse différence.
Mots-clés : Allemagne
Réactions à cet article
1. Économie allemande : un « modèle » pour les patrons, pas pour les travailleurs ! , 10 avril 2012, 00:09, par Tino
Oui, et cette misère, on la voit par exemple à Berlin : dans le métro, dans une rame sur 3, il y a un pauvre qui fait un discours pour vendre le « motz » un journal des SDF ou bien demande un don 0,50€ pour vivre. On voit souvent des gens faire les poubelles pour récupérer des bouteilles en verre consignées qui leur rapportent 8 centimes d’€ chacune.
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