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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 68, mars-avril 2010

Dreux : Quand Philips décide d’éteindre la télé

Mis en ligne le 11 avril 2010 Convergences Entreprises

Comme pour New-Fabris ou Continental, c’est la télévision qui a fait connaitre l’usine de Philips Dreux en Eure-et-Loir, une usine où sont assemblés des téléviseurs justement. Cette fois-ci, ni bonbonne de gaz, ni préfecture chahutée, mais simplement des lettres reçues par les salariés chez eux le samedi matin, parfois au saut du lit, leur annonçant qu’ils ne devaient plus retourner travailler le lundi suivant. Pourtant Philips venait de repasser dans le vert avec 424 millions d’euros de bénéfices en 2009.

« Philips tue nos emplois »

L’industrie des téléviseurs, c’est une vieille histoire à Dreux. Un premier site, Radiotechnique, voit le jour en 1956, fabriquant des tubes cathodiques. D’abord une co-entreprise Radiola-Philips, puis repris totalement par Philips en 1990, l’usine emploiera jusqu’à 2 000 salariés en 1997, avant que Philips en réduise progressivement les effectifs. Avec l’arrivée des écrans plats, le site devient LG Philips Display en 2001. En 2006, sa mise en liquidation judiciaire jettera 640 salariés à la rue.

En 1974, Radiotechnique construit un second site à 500 mètres du premier, consacré à l’assemblage de téléviseurs et à la fabrication de circuits électriques. Il comptera 1 200 salariés et deviendra Philips Électronique Grand Public (EGP) en 1990. Philips délocalisant progressivement ses activités en Hongrie, le site subit des vagues successives de licenciements : 283 en 2003, 450 en 2005 puis 279 en 2008. Avec, à chaque fois, des luttes combatives : quatre semaines de grève en 2003 ou encore onze semaines de grève en 2008.

Mais l’objectif de Philips est bien de se débarrasser de ses sites industriels, en les délocalisant si besoin auparavant. C’est ainsi que les 236 salariés de Philips Pont-à-Mousson, en Meurthe-et-Moselle, viennent d’apprendre leur cession en juin prochain.

Une fermeture qui coince

À Dreux, l’annonce le 8 octobre 2009 de l’arrêt de la production n’est donc pas vraiment une surprise. Commence alors une guerre de procédure. FO et CGT, les deux principaux syndicats, contestent l’argumentaire économique de la direction et font appel à un cabinet d’experts. Les salariés manifestent contre la fermeture du site et pour l’annulation du PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) le 14 décembre à Dreux et le 23 décembre devant la direction départementale du travail à Chartres.

Le 5 janvier 2010, 95 % des 150 salariés réunis en assemblée générale votent la prise de contrôle de la production. Pendant une dizaine de jours, plus de 900 téléviseurs seront ainsi montés et stockés par les salariés. Il faudra à la direction le renfort de nombreux vigiles, d’huissiers et neuf menaces de licenciements pour faute lourde pour reprendre la direction de l’usine. L’assemblée générale du 15 janvier vote la suspension du mouvement et mandate les élus pour contester en justice le PSE.

Une délégation est reçue le 18 janvier par le préfet qui leur promet son soutien (il sera muté ensuite). Aux CCE du 28 janvier puis du 9 février, les élus refusent de donner leur avis sur le PSE, bloquant ainsi celui-ci.

Les travailleurs gagnent une manche

Vendredi 12 février, les salariés quittent leur travail sans se douter de rien. Leur surprise est donc grande lorsque le facteur leur remet samedi matin une lettre recommandée dans laquelle la direction de Philips annonce sèchement que « l’arrêt de l’activité de fabrication est intervenue le 12 février 2010 au soir ». « Ainsi vous n’aurez pas à vous présenter à votre poste de travail à compter du lundi 15 février 2010. » Provocation supplémentaire : cette lettre est accompagnée d’une proposition de reclassement en Hongrie, usine où est délocalisée la fabrication de Dreux : 450 euros par mois, horaires en 3 × 8 avec pratique de la langue hongroise requise !

La CGT décide alors d’appeler les salariés à revenir sur le site le lundi matin. Contre toute attente, cet appel, relayé par les médias, est largement suivi. Les salariés trouvent bien sûr porte close, gardée par des vigiles recrutés en force par la direction. C’est la colère et les salariés décident d’assigner Philips en référé pour faire lever le lockout. Toute la semaine, ils reviendront devant le site et tiendront quotidiennement des assemblées générales. Mercredi 17 février, 150 d’entre eux iront au Tribunal de Grande Instance de Chartres assister à l’audience en référé. Quelques dizaines se rendront à Paris le jeudi où une délégation sera reçue à Bercy par Christian Estrosi, qui ne s’engagera à rien comme d’habitude.

Le vendredi 19 : victoire ! Le TGI ordonne la réouverture du site, le redémarrage de la production sous peine d’une astreinte de 25 000 euros par jour, ainsi qu’une meilleure information des élus du personnel. Le lundi suivant, les salariés rentrent donc dans l’usine la tête haute, n’ayant surement jamais été aussi heureux d’aller au travail.

Des tensions apparaissent

Essayant toujours de passer en force, la direction fait appel de la décision du référé. Mais des doutes réapparaissent parmi les salariés : faut-il se battre pour de meilleures indemnités ou pour empêcher la fermeture du site ?

L’assemblée générale du 11 mars vote pour une synthèse : pas d’avis du CCE et du CE sur un plan social toujours considéré comme illégal mais une demande de rencontre avec la direction pour connaître ses propositions sur les mesures d’accompagnement.

Le 16 mars, la direction proposera 20 000 euros d’indemnités supplémentaires. Les indemnités légales et extra-légales atteignent alors de 58 000 à 68 000 € en fonction de l’ancienneté. Preuve que la lutte paye. FO organise le lendemain une assemblée, à laquelle ne participera pas la CGT. À l’issue de celle-ci, un vote à bulletins secrets, en l’absence d’une quarantaine de salariés, donnera une majorité pour accepter ces propositions, soit 134 salariés sur les 212 du site, provoquant l’indignation de la CGT et de l’Union Locale FO très investie dans le conflit.

C’est sur ce vote à bulletins secrets que s’appuieront les élus du CCE, sauf ceux de la CGT, pour participer au vote du 29 mars. Même en donnant un avis défavorable sur le PSE, ils permettent ainsi à la direction de boucler sa procédure. Et les élus FO au CE de Dreux donneront aussi un avis négatif au CE du 30 mars, malgré l’intervention d’une quarantaine de salariés du site venus leur demander de ne pas voter.

Ce n’est pas fini !

La direction doit légalement attendre le 16 avril pour envoyer les lettres de licenciement. Une partie des salariés envisage, avec la CGT, un recours en justice qui permettrait de bloquer le PSE avant le 16. Le but est à la fois de préserver les emplois sur le site, mais aussi d’améliorer les indemnités pour ceux qui veulent partir. Car il ne s’agit pas d’opposer les uns aux autres.

Les salariés de Philips ont prouvé qu’en se battant, ils pouvaient faire reculer la direction. Et celle ci peut encore lâcher du lest tant sa marge de manœuvre est grande. Pour cela, il faudra continuer à s’adresser à tous les salariés de Philips pour les convaincre et aussi trouver la voie de la convergence des luttes avec ceux des autres entreprises. La télé n’est pas encore éteinte.

3 avril 2010

Gilles SEGUIN

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