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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 40, juillet-août 2005

Des livres pour l’été... ou plus tard

Karl Marx, le retour

Mis en ligne le 4 juillet 2005 Convergences Culture

de Jacques Attali,

Karl Marx, ou l’esprit du monde

Éditions Fayard, mai 2005, 537 p, 23 €


L’ancien conseiller de Mitterrand, ex président de la BERD (Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement), conseiller d’État, actuel président et/ou fondateur de différentes sociétés internationales de conseil et d’investissement financier... et connu pour dégainer des livres plus vite que son ombre, s’est cette fois-ci pris d’une passion tardive mais néanmoins dévorante pour Marx, en qui il a découvert le grand théoricien de la mondialisation capitaliste et un champion du libéralisme. Marx, dernière recrue en date des chercheurs de têtes de la grande bourgeoisie. À croire que la finance mondiale est à court de théoriciens.

Qu’est-ce qu’Attali a trouvé dans Le manifeste du parti communiste ? « ... les plus belles pages à jamais publiées à la gloire de la bourgeoisie (...) le plus bel éloge prophétique de la mondialisation à venir » (p. 142). Dans la Contribution à la critique du l’économie politique (1859) ? « ...une nouvelle ode au capitalisme » (p. 242). La dévotion marxiste de la star française de la mondialisation financière atteint son paroxysme à la page 403 : « ... que de points communs entre la théorie de la sélection naturelle... la théorie de la lutte des classes et l’autre grande théorie du XIX° siècle, celle de la thermodynamique.... toutes trois parlent d’un temps qui s’écoule irréversiblement : vers le désordre, dit Carnot ; vers la liberté, dit Marx ; vers le mieux adapté, dit Darwin. S’adapter aux désordres de la liberté : tel est ce qui réunit Carnot, Marx, Darwin, les trois géants du siècle ». S’adapter aux désordres de la liberté ! Pour un peu, Jacques Attali convertirait Georges Bush au marxisme.

Quant à l’avenir du capitalisme, le nouveau disciple de Marx reste optimiste et se fait même lyrique (pp. 503-504) : « (...) Lorsqu’il aura ainsi épuisé la marchandisation des rapports sociaux et utilisé toutes ses ressources, le capitalisme, s’il n’a pas détruit l’humanité, pourrait aussi s’ouvrir à un socialisme mondial. Pour le dire autrement, le marché pourrait laisser place à la fraternité... Comme il n’y a pas d’État mondial à prendre, cela ne saurait passer par l’exercice d’un pouvoir à l’échelle planétaire, mais par une transition dans l’esprit du monde - cette « évolution révolutionnaire » si chère à Marx [sic]. (...) Tout homme deviendrait citoyen du monde et le monde serait enfin fait pour l’homme. Il faudrait alors relire Karl Marx (...) les générations à venir... reviendront alors vers l’esprit du monde et son message principal : l’homme mérite qu’on espère en lui ». On parviendrait ainsi au communisme par l’opération du saint esprit. Marx est « l’esprit du monde » (c’est ainsi qu’Attali le désigne une dizaine de fois par chapitre), et Attali son prophète. Ainsi soit-il.

Cela dit, dieu merci (esprit du monde oblige), les 500 pages du livre d’Attali valent mieux que sa nouvelle religion distillée au fil des pages. Attali se vante dans les médias de travailler sur 23 livres à la fois et, même s’il dort peu, dit-il, il a dû disposer d’une belle escouade d’assistants pour fouiller dans les archives de Marx. Le résultat est là : l’ouvrage [1], en dépit des remarques incongrues d’Attali qui décidément ne s’est guère assimilé l’humour ni la dialectique de Marx, est intéressant, précis et d’une grande clarté ! L’un de ses principaux mérites est d’avoir adopté un plan chronologique où les différents ouvrages de Marx sont largement cités et somme toute bien présentés, avec des citations consistantes, parfois peu connues (ne pas manquer par exemple, p. 138, les larges extraits du Discours sur le libre échange du 9 janvier 1848, dont Attali n’a visiblement compris que la moitié !), avec un luxe de détails sur le contexte historique. Les chapitres consacrés aux années 1848 et à la première internationale, ou au flirt politique de Ferdinand Lassalle avec Bismarck sont très éclairants. À noter également des pages attachantes sur les trois filles de Marx et leurs compagnons communards.

Un livre à piller sans vergogne, donc, comme Attali sait si bien le faire à son propre compte.

Huguette CHEVIREAU



de Francis Wheen,

Karl Marx, biographie inattendue

Éditions Calmann-lévy, mars 2003, 396 pages, 24 €


La plume alerte du journaliste anglais Francis Wheen fait ici merveille (il semble d’ailleurs qu’Attali, dans certains passages sans guillemets où l’on remarque une rupture de ton, lui ait fait de généreux emprunts !). Moins ambitieuse que celle d’Attali, sa biographie se veut plus centrée sur la vie personnelle et militante de Marx et plus anecdotique, quoi que... Manifestement, Wheen est plus familiarisé qu’Attali à la dialectique de Marx dont il sait apprécier les saillies assassines et l’esprit satirique à défaut d’invoquer celui « du monde ». Le brio du style ne nuit ici aucunement au sérieux de l’étude. Les notes de références sont cette fois précises, avec indications des pages des ouvrages cités.

En bon connaisseur de la culture britannique et de son histoire politique et sociale, il donne par exemple d’intéressants détails sur l’évolution des chefs chartistes puis sur les rapports de Marx avec les chefs syndicalistes anglais. Évocation très drôle des circonstances de la rédaction de L’Adresse inaugurale de l’AIT et de ses Statuts et de la façon dont Marx amadoua les membres les moins révolutionnaires de l’Internationale naissante (pp. 274 et suivantes). Des précisions inédites sur le personnage et le rôle d’Engels (contrairement à Attali qui lui voue un dédain souverain sans l’ombre d’une argumentation).

Fait assez rare chez les commentateurs de Marx, Wheen souligne également l’ironie dont sont saturés ses textes, y compris les plus théoriques. Preuve à l’appui, il cite (pp. 301-302) un passage peu connu mais franchement ébouriffant des Théories sur la plus-value (dénommé également « quatrième volume du capital »), intitulé Digression sur le travail productif, résumant « le rôle productif du crime » dans la société capitaliste. Pour en savoir plus sur les détails de « l’influence qu’exerce le criminel sur le développement des forces productives » comme, plus généralement celle de « l’arbre du péché », se reporter aux pages 301-302 de cette biographie.

Par ailleurs, entre autres précisions notables, l’auteur met définitivement fin (grâce aux investigations d’une étudiante américaine) à la légende voulant que Marx ait souhaité dédicacer l’édition anglaise du Capital à Darwin, honneur que celui-ci aurait décliné au nom de la liberté de penser (cf. pp. 355-56). En réalité, la réponse de Darwin répondait à une lettre du journaliste Edward Aveling (compagnon d’Eleanor Marx) qui comptait dédier à Darwin un petit livre de vulgarisation sur la théorie de l’évolution (« un exposé plutôt scolaire » selon Wheen).

Bref, une biographie stimulante, érudite et, ce qui ne gâte rien, agréable à lire.


Par delà ces deux biographies récentes de Karl Marx, ne pas oublier deux biographies rédigées il y a quelque soixante-dix ans, aussi passionnantes qu’irremplaçables :

Celle de David Riazanov, Karl Marx, homme, penseur et révolutionnaire (publiée en 1927 en URSS, avec une traduction française de 1968 aux éditions Anthropos. Se la faire prêter ou fréquenter les bibliothèques !) Riazanov, jeune émigré russe en 1908 devenu un temps secrétaire de Kautsky, puis bolchévique en 1917 et fondateur en 1920 de l’Institut Marx-Engels de Moscou, a consacré trente ans de sa vie à parcourir l’Europe à la recherche des manuscrits de Marx et d’Engels. On lui doit entre autres la redécouverte d’une bonne partie de L’Idéologie Allemande. À noter dans le livre d’Attali les excellentes pages qui lui sont consacrées (pp.455 et 456, puis 475 et suivantes) : Riazanov dut accomplir des prouesses pour arracher à différents chefs de la social-démocratie allemande bon nombre de manuscrits tombés dans l’oubli. Il fut fusillé en 1938 au camp de Saratov, au moment des grandes purges staliniennes.

Celle ensuite de Boris Nicolaïevski et d’Otto Maenchen-Helfen, La Vie de Kal Marx. L’homme et le lutteur , publiée pour la première fois en allemand en 1933, puis en français en 1937 et rééditée en 1970 et 1997 (éditions de La Table ronde). L’ouvrage supplante par la richesse d’informations comme par l’acuité politique la biographie au style nettement plus pesant du social-démocrate allemand Franz Mehring faisant jusque-là autorité (Karl Marx, Histoire de sa vie). Il est vrai que Nicolaïevski et Maenchen-Helfen avaient eu accès aux Archives Marx-Engels de Moscou. Leur livre sert toujours de référence à la plupart des biographies ultérieures.

H.C.


[1Un travail de pro qui n’est pas allé toutefois jusqu’à faciliter la tâche du lecteur. À dessein ? Quand celui-ci a le mauvais goût de rechercher la référence précise de citations de Marx de deux ou trois lignes, le numéro de note renvoie à la bibliographie en fin d’ouvrage avec ce style d’indication, sans aucune référence de pages, de titre ou de chapitre : « Marx, Karl, Œuvres... Bibliothèque de la Pléiade, 4 volumes parus », ou encore « Marx, Karl, Œuvres complètes, dont la correspondance K. Marx et F. Engels... 12 vols parus. »... sans autre précision !

Réactions à cet article

  • « Piller ce livre sans vergogne » ? C’est donner son blanc seing à une entreprise systématique de dénaturation de Marx, un livre de combat contre la révolution russe, et contre Marx lui même. Honte à vous ! Attali, à la poubelle.

    Nota Bene : les citations que vous vantez et que fait Attali (ou plutôt ses employés) sont toutes trafiquées : coupées ou inventées. C’est « l’esprit du monde » d’aujourd’hui. C’est ce qui explique la bibliographie décourageante (pour qui ne connaît pas les oeuvres de Marx).

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    • Eh bien non. Les citations d’Attali ne sont pas inventées. Coupées ? Certes, comme toutes citations. Mais plutôt moins que bien des citations que pourrait revendiquer notre lecteur. En tout cas, les passages cités par Attali le sont longuement. Tout au plus, dans le dernier chapitre, Attali reprend-il certaines expressions de Marx, citées dans leur contexte dans les chapitres précédents, à sa propre sauce. Remarquons au passage que notre lecteur pratique la citation… très tronquée et hors de son contexte en ne relevant que quatre mots d’une critique qui, justement, démystifiait le point de vue d’Attali.

      La critique de Convergences visait précisément à tourner en ridicule l’usage idéologique que fait Attali des citations de Marx. Son livre a été largement vanté dans les médias (et lui-même a tout loisir de s’exprimer à la radio et à la télé), sans aucune nuance critique. Faudrait-il que la presse révolutionnaire s’abstienne de tout commentaire ?

      A noter que nous avons pris soin de conseiller également d’autres biographies de Karl Marx.

      Le livre d’Attali « à la poubelle » ? Et pourquoi pas des autodafés ? Sous prétexte que c’est un adversaire de classe ? Ne faudrait-il conseiller que des biographies « marxistes » de Marx ? Qui donnera le label ? A se demander parfois s’il ne faut pas aussi protéger Marx de ses amis. Ses ennemis, il s’en chargeait… H.C.

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