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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 67, janvier-février 2010

Des grévistes sans papiers racontent...

Mis en ligne le 16 février 2010 Convergences Politique

Trois camarades grévistes sans papiers, Mamadou, Mohammed et Adama, délégués du comité de grève des intérimaires, ont discuté avec nous de leur mouvement, entré dans son quatrième mois.

Comment êtes-vous entrés dans la grève en octobre dernier ?

Mohamed : Je travaillais comme ça, sans papiers, en attendant une réponse de la préfecture qui ne venait pas et j’ai entendu qu’un mouvement allait se faire. C’était à Massy, à la CGT où il y avait des réunions de sans papiers toutes les deux semaines. On a commencé à distribuer des tracts, pour annoncer une manifestation le 7 octobre et un rassemblement le dimanche 11 octobre à la CGT à Montreuil. Et c’est là que ça a commencé et que tout a été programmé : des piquets de grève par métiers : les intérimaires, le nettoyage, le bâtiment, etc. Et nous les intérimaires, on s’est donné rendez vous le 12 octobre à la gare Saint-Lazare, pour occuper des agences d’intérim. Il y avait au moins 250 personnes. On est entrés à « Synergie ». C’est là qu’on a commencé la grève et, depuis, on s’est organisés avec un comité de délégués, plusieurs piquets dans des agences de la région parisienne mais aussi d’Orléans, Creil, Compiègne. On discute et organise ces actions dans une assemblée, avec les délégués, qui se tient tous les jours à partir de 8 heures du matin. Jusqu’à aujourd’hui.

Certains d’entre vous étaient donc déjà en lien avec la CGT ?

Adama : J’ai connu la CGT en 2008, j’étais déjà gréviste en 2008, et je recevais des messages quand il y avait quelque chose de neuf. J’avais déjà donné des bulletins de paye, des déclarations d’impôt à quelqu’un de la CGT de l’agence où je travaillais. Mais j’ai été licencié en 2009. Mon agence m’a appelé, le patron m’a reçu et m’a dit : « Je ne savais pas que tes papiers n’étaient pas bons ». Il avait appelé la préfecture de Versailles qui lui avait dit que le numéro n’était pas valable…

Mamadou : Pour moi ça a commencé en 2008. J’ai assisté à des réunions à la bourse du travail d’Evry où il y avait Raymond Chauveau et les associations qui sont dans le mouvement de la grève. À ce moment-là ils parlaient de préparer quelque chose, pour nous aider à constituer des dossiers, mais j’ai arrêté d’aller aux réunions parce que c’était toujours la répétition des mêmes choses. Mais en octobre dernier, un ami du foyer m’a dit qu’une réunion allait avoir lieu à Montreuil, le 11 octobre. J’ai décidé d’y aller pour savoir ce qu’ils allaient dire et à ma grande surprise, quand je suis arrivé, j’ai senti qu’on était vraiment près de la grève. Personnellement, je n’étais pas bien préparé pour un mouvement. C’est venu d’un seul coup comme ça le matin : je suis allé à Montreuil où on m’a dit « demain c’est la grève ». Alors, la nuit, j’ai réfléchi, pesé le pour et le contre… Et puis je me suis dit que ça ne valait rien que je continue à travailler sans régularisation. J’ai décidé de rentrer dans la grève. Un patron m’a appelé mais je lui ai dit que j’étais en grève. Je me posais bien sûr des questions sur les problèmes financiers : entrer dans un mouvement comme ça, faut être prêt et je n’avais pas fait d’économies, mais j’ai quand même décidé d’entrer dans la grève et pour le reste…

Ce qui me motivait surtout, c’est que des camarades maliens et moi avions déjà eu des difficultés avec une entreprise qui avait arrêté de nous employer parce qu’on avait occupé une église à Massy en 2006, à cause des papiers. Plus tard en 2008, lorsque des collègues maliens d’une entreprise d’intérim ont décidé d’occuper pour leurs papiers, je l’ai appris trop tard et certains ont été régularisés avec deux ans d’ancienneté alors que moi et d’autres qui avions cinq ans ou plus, ne l’avons pas été. On ne s’était pas bien préparés. Pour ça aussi, je me suis dis que cette fois, il fallait que je tente ma chance en faisant la grève.

Depuis octobre, on a occupé plusieurs lieux, avec des piquets, en y restant nuit et jour à chaque fois pour éviter les va et viens… Maintenant qu’on a moins de piquets [1] c’est plus dur. Moi par exemple, je viens tous les jours de l’Essonne pour la réunion du comité et tout ce qu’on organise, et c’est cinq zones. Mais je suis prêt à continuer parce que les mois que j’ai laissés derrière, ce que j’ai déjà sacrifié, ça me motive pour obtenir quelque chose. Je ne peux pas, du jour au lendemain, dire que je suis fatigué et que j’arrête…

Mohamed  : Il faut vraiment qu’avec ce qu’on a accepté de faire, ça bouge. Il faut qu’on ait des papiers… Sinon, il y aura encore la grève en 2012. Tant qu’il n’y aura pas de papiers, il y aura la grève. Cela ne s’arrêtera jamais, même si nous on gagne notre combat, car il y aura encore d’autres personnes qui feront ce qu’on fait maintenant.

On avait fait une occupation en 2007 à Orléans, pendant neuf mois, du 10 mars à la fin 2007. On était dans des églises. On était d’abord 200, puis 100, puis moins, avec des tensions et tout ça, et on était dans un local où il n’y avait pas d’électricité, pas d’eau et super froid. Et un jour ils nous ont expulsés à 7 heures du matin, au moins des centaines de flics nous ont sortis. On a pu malgré ça aller ailleurs, on a trouvé d’autres locaux… On a tenu bon, déposé des dossiers en préfecture, mais ceux qui ont été régularisés, c’est ceux qui avaient une famille, étaient mariés où étaient là depuis plus de 10 ans - pas beaucoup parmi nous.

Maintenant vous luttez pour être régularisés parce que vous travaillez ?

Adama : oui, et c’est un peu compliqué parce que les patrons et le gouvernement combinent entre eux pour que ça n’aboutisse pas. Tout est bien pour les patrons : ils gagnent sur notre dos, tu n’es jamais absent, tu n’es jamais malade, tu n’es jamais fatigué, tu ne peux pas réclamer… mais tu fais rentrer l’argent ! Si tu as mal, tu ne peux pas réclamer parce que tu sais que si tu ne travailles pas, tu ne seras pas payé, à la différence des travailleurs qui ont des congés maladie. L’année dernière, à cause du travail où il fallait soulever tous les jours des plaques d’égouts des caniveaux, qui pèsent au moins 50 kilos (les enlever et les remettre), j’avais tellement mal au dos que j’aurais dû arrêter. Je ne pouvais pas marcher mais parce que je n’avais pas de papiers et que je ne pouvais rien demander, j’ai continué. J’ai travaillé en mettant de la pommade le soir en rentrant au foyer et en allant voir le médecin pour qu’il me donne des médicaments. Je n’allais pas bien mais je suis allé travailler. Le chef a vu que j’avais mal, que j’étais quand même venu parce que j’étais motivé, et il m’a laissé tranquille, en me demandant juste d’aider les autres en attendant que je me sente mieux, et ça a duré deux semaines. Après le mal est parti, mais c’est de l’esclavage moderne et les patrons le savent. Pour le travail, ça marche ! Mais c’est pour les papiers que ça ne marche pas et qu’ils ne veulent pas régulariser. Bosse et ferme ta gueule ! Cela fait des années qu’on est dans le pays, ils savent qu’on est des centaines de milliers dans cette situation, mais on est de la main-d’œuvre non régularisable et non expulsable.

Mohamed  : Non, on est régularisables !

Adama : Je me demande pourquoi on ne veut pas de gens qui ont passé des années en France, qui ont travaillé, cotisé, participé à l’économie du pays et qui veulent rester pour faire leur vie. On pourrait travailler dans des conditions normales, comme tous les autres travailleurs.

Mamadou : La grève dure et des difficultés existent. Financièrement c’est dur, surtout pour les déplacements. Mais on peut gagner… comme on peut perdre, c’est une bataille.

Adama : La grève n’a pas baissé... On dit que 6 000 ont rejoint le mouvement mais il y en a qui ne sont plus grévistes. Chez les intérimaires, ça a baissé mais pas beaucoup. Et il y a quelques nouveaux... Mais pour tenir face aux difficultés pour manger et envoyer de l’argent au pays, il faut qu’il y ait du neuf, toujours des actions sinon des grévistes ont du mal à rester.

Mamadou  : On a entamé le quatrième mois grâce à la solidarité entre nous, c’est ça qui nous fait tenir. Il y en a qui nous encouragent, qui nous donnent de l’argent pour le transport.

Mohamed  : Oui, pour les sans papiers, c’est super dur, pas de quoi manger, pas de salaire, à la fin du mois pas un euro, et si tu sors d’ici pour aller prendre l’air, tu peux te retrouver en garde à vue, en centre de rétention.

Et la façon dont vous vous êtes organisés, elle vous aide ?

Adama : Les intérimaires dans cette grève-là sont plus motivés et organisés, c’est sûr. Ce qu’on fait ici, avec ceux qui viennent tous les matins, les discussions, les collectes, tout le monde ne le fait pas.

Mamadou : Il faut surtout continuer des actions.


[1Des dizaines d’agences ont été occupées lors du mouvement, mais évacuées quasi-systématiquement par la police. D’autres étaient occupées… mais le nombre total a baissé.

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