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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 54, novembre-décembre 2007 > DOSSIER : Croissance, décroissance, d’un cauchemar à l’autre

DOSSIER : Croissance, décroissance, d’un cauchemar à l’autre

Croître ou ne pas croître, quelle est la question ?

Mis en ligne le 21 novembre 2007 Convergences Société Économie

Sitôt que la « croissance » est un peu plus forte qu’à son habitude, on nous parle « d’embellie ». Chacun, gouvernement et économistes, y va de sa prévision « optimiste » ou « timide ». Comme si, par une vertu magique, la croissance allait résoudre les principaux problèmes de la société. Pourtant, le constat de ces trente dernières années, c’est que la croissance va de pair avec l’aggravation des inégalités et la dégradation du « bien-être » d’une majorité de la population.

Qu’est-ce qu’on appelle « la croissance » ?

Ce que les économistes et les politiciens appellent la « croissance », c’est l’augmentation du produit intérieur brut (PIB). Le PIB correspond à la valeur de la production de biens et services dans un pays donné, il mesure les nouvelles « richesses » créées dans l’année, du moins celles mesurées en valeur monétaire. Il s’agit des biens et des services finaux, car pour ne pas compter plusieurs fois la même production, on élimine les intermédiaires de production. Par exemple, on compte la valeur du pain, mais on n’ajoute pas celle de la farine achetée par le boulanger : sa valeur est comprise dans celle du pain. Lorsque la production passe par le marché, elle est mesurée par son prix de vente. Mais pour les associations et l’administration publique (enseignement, justice, santé, armée…), il n’y a pas de prix de vente, on estime donc leur valeur à leur coût de production (salaires, matériels, infrastructures…).

Le PIB mesure le marché capitaliste

Les services publics gratuits participent donc moins au PIB que le privé, car il n’y a pas de plus-value (la valeur produite accaparée par le capitaliste). Exemple, un cours d’anglais chez Wall Street Institute vaut plus qu’un même cours à l’université : il faut ajouter le profit aux coûts de production. Il contribue donc plus… à la croissance, pour le même (espérons) service rendu. Idem, laisser les hôpitaux publics à l’abandon au profit des cliniques privées génère de la croissance !

Le PIB peut être abordé de deux autres manières. Premièrement, la vente de la production générant un revenu, le PIB équivaut au total de ces revenus, distribués sous forme de salaires, de profits et d’impôts. Si le gouvernement s’intéresse tant aux prévisions de croissance au moment de voter le budget de l’État, c’est qu’elles donnent une idée des futures rentrées d’impôts. Deuxièmement, toute vente étant un achat, le PIB est aussi la somme de la consommation des ménages et des investissements.

Quel que soit le côté par lequel on aborde le PIB, celui-ci mesure l’étendue du marché capitaliste. La croissance reflète donc le dynamisme du marché, ce qui ne veut pas du tout dire des lendemains qui chantent. La dynamique capitaliste et la dynamique du progrès social ne se recouvrent pas et ne se comptent pas de la même manière.

Une croissance qui ne fait pas le bonheur

Il y a ce que le PIB ne compte pas, comme l’autoproduction, c’est-à-dire les richesses produites et consommées dans les foyers : les fruits du verger, mais aussi les tâches ménagères, l’éducation familiale, la solidarité… Quant au travail au noir, il est estimé, mais bien mal. Enfin, le bénévolat et une bonne partie du travail associatif étant des services non-marchands, leur valeur est comptabilisée essentiellement à partir des coûts de personnel, lesquels sont par nature insignifiants dans les activités bénévoles.

Plus important, il y a ce que les économistes appellent les « externalités », c’est-à-dire les retombées et effets secondaires de la production. L’exemple d’externalité « positive », c’est l’arboriculteur dont les plantes sont butinées par les abeilles d’un apiculteur. Mais les externalités sont le plus souvent « négatives », c’est-à-dire néfastes ou destructrices : pollution, maladies professionnelles, bruit des avions… En terme de croissance, il est indifférent de développer les chemins de fer ou d’utiliser des camions, alors que pour la santé, l’environnement et le bien-être, ce n’est pas pareil.

Le problème vient aussi de ce que le PIB intègre ce qui est directement destructeur ou spécifique au fonctionnement capitaliste de la société. Le but du capital étant de s’accroître, peu lui importe la nature de son affectation. Le PIB met sur le même plan la production d’armes, les prisons, la publicité, les audits pour restructuration… et l’éducation, l’art et la culture, l’élevage de moutons ou les transports en commun. Ainsi, la forte croissance américaine est en partie le résultat des dépenses publiques liées à la guerre en Irak. Aux USA, la défense nationale représente 4 % du PIB. Son budget est passé de 318 à 528 milliards de dollars entre 1996 et 2006, soit une croissance de 66 %. Difficile de parler d’une embellie !

De la même manière, une hausse des ventes d’anti-dépresseurs ne reflète pas une amélioration des conditions de vie, mais participent de la croissance. Finalement, la croissance est bien loin d’être un indicateur de bien-être ou de progrès social.

Le plus sidérant vient du discours de nos politiciens quand, au nom de leur croissance miraculeuse, il faut accepter la casse des acquis sociaux et des services publics (ou leur privatisation, comme on voudra !), les suppressions d’emplois, la diminution des retraites, la généralisation de la précarité : autrement dit, la décroissance de la véritable richesse sociale. Tout cela pour « notre bien », évidemment, c’est-à-dire pour inciter les capitalistes à investir, ou plutôt à alourdir leurs poches ! Cherchez l’entourloupe.

Maurice SPIRZ


Le mensonge de la « croissance » des pays pauvres

Biens des pays pauvres ont connu une forte croissance dans les années qui ont suivi la décolonisation, de l’ordre de 7 %. Pourtant, sur les conseils des institutions internationales, ces pays ont bâti leur croissance sur les exportations de quelques produits, détruisant au passage les cultures vivrières. Les pays pauvres ont été mis en concurrence sur les matières premières. Si bien qu’au début des années 1980, les prix se sont effondrés et toute l’économie a suivi.

Les États se sont endettés pour relancer la croissance, mais les emprunts souscrits à 6 ou 7 % ont été relevés à 17 ou 18 % d’intérêt, soit disant pour attirer les capitaux nécessaires. Quand les États ont été incapables de rembourser, le FMI est intervenu. Il a accordé de nouveaux prêts, en échange d’une main mise sur la politique locale. Les « plans d’ajustement structurel » ont imposé des coupes dans les budgets sociaux (éducation, santé, logement…), le gel des salaires et des suppressions d’emploi dans la fonction publique. Les entreprises publiques ont été privatisées en masse. Sous prétexte de faire baisser les prix, les barrières douanières ont été supprimées, mais les subventions aux produits et services de première nécessité également. Rapidement, les productions locales ont été évincées par les marchandises des pays industrialisés. Un touriste américain en Jamaïque peut goûter aux plaisirs locaux : jus de fruit, mangues fraîches, plats épicés… Mais tout cela vient de Miami ! Les fermes locales ne sont pas assez productives et leurs produits, trop chers, ne trouvent pas preneur. [1]

Les politiques de relance de la croissance mises en place par le FMI ont été un véritable désastre pour les populations locales et ont renforcé la domination des pays industrialisés sur les pays pauvres. Pris dans la spirale de la dette, les travailleurs des pays pauvres ne produisent pas pour développer leur pays, mais pour verser une rente aux pays riches.

M.S.


Petit manuel pour une croissance idiote

Et si on installait des portillons à la sortie des immeubles pour faire payer aux passants le coût de l’entretien des trottoirs ? Comble du bonheur, la production et l’entretien des portillons relancerait la croissance ! Absurde, dites-vous ?

Pourtant, cela existe dans les transports en commun et cela coûte cher : en plus des portillons, il y a les machines à billets, l’édition des tickets et amendes, le système informatique, les miroirs sans fond pour surprendre les resquilleurs… Tout un arsenal de surveillance dernier cri !

Si on ajoute le salaire des contrôleurs et guichetiers, qui pourraient être réaffectés aux autres services où le personnel fait défaut, cela revient quasiment autant que ce que rapporte la vente des billets, voire le dépasse : d’où l’intérêt ! La gratuité des transports en commun porterait un coup à la croissance, mais quel soulagement pour les citadins !

M.S.


Attali veut libérer la croissance

Jacques Attali a reçu des mains de Sarkozy non pas un ministère (il n’y en pas pour tout le monde), mais une « mission ». L’ancien conseiller de Mitterrand doit « libérer la croissance ». C’est que la « France est en panne ».

Ladite mission dispose d’une commission où l’on trouve des patrons… et encore des patrons (ils sont près de la vingtaine…), et pour faire bonne figure, un psychiatre, un ancien syndicaliste de la CFDT, quelques économistes, etc.

Premières réflexions de la fine équipe : libéraliser le secteur de la grande distribution et faciliter les expulsions de locataires. La commission s’apprêterait aussi à accoucher d’une solution pour améliorer le marché du travail : faciliter les licenciements.

Le Medef pourrait se plaindre. C’est un vrai plagiat. Attali croyait bien faire mais en a trop fait ! Il a réussi à fâcher la secrétaire d’État à l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, ainsi que Borloo, qui ont dû réagir à l’idée de renoncer au principe de précaution (il faut en finir avec les « ayatollahs de la prudence », d’après Bébéar, éminent membre de la commission Attali…). La secrétaire d’État a qualifié la proposition de « vision réactionnaire ».

Laissons quand même la parole à Attali… dans un texte de 1973 où il s’en prenait aux adorateurs de la « croissance » du PIB : « Il y a un mythe savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit l’inégalité. Cet argument (…) est une escroquerie intellectuelle sans fondement ». On ne saurait mieux dire.

M.C.


[1Sur les conséquences dramatiques de la politique du FMI en Jamaïque, voir l’excellent documentaire de Stéphanie Black, « Life and Debt ».

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