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Course aux diamants, course à la mort

19 mai 2000

L’indignation des média est sélective et il a fallu l’enlèvement (ou l’encerclement) de près de 500 casques bleus pour attirer à nouveau l’attention sur le Sierra Leone. La perspective d’une nouvelle entrée des troupes du Revolutionnary United Front de Fodey Sankoh à Freetown, la capitale, a réveillé les pires souvenirs de janvier 1999. Au cours du sac de la ville près de 6 000 civils furent assassinés et des milliers d’autres furent sauvagement amputés, torturés. De nombreux enfants-soldats ont servi, sous l’effet de drogues, à exécuter les basses oeuvres de « nettoyage ». Mais la situation actuelle et son cortège de souffrances pour les populations pauvres, n’est nullement le fait d’une calamité naturelle ou d’une fatalité irrémédiable spécifique de l’Afrique. Pour son malheur le Sierra Leone est un pays riche en matières premières, permettant que se manifestent au grand jour les pires convoitises locales mais aussi internationales.

Le nouveau cycle de violences qui martyrisa cette ancienne colonie britannique commença en Mars 1991 lors du démarrage des opérations du RUF. Le mince vernis politique et mystique du RUF n’arrive pas à masquer la réalité : cette guérilla n’a rien d’un mouvement de libération nationale mais ressemble bien davantage à une entreprise privée. En occupant la partie orientale du pays Fodey Sankoh s’assure le contrôle de la zone diamantifère de Kono, et les riches terres agricoles de Kailahun où se développent les cultures du pavot et des plants de coca. L’origine du RUF se trouve dans l’expansion du mouvement d’un « seigneur de la guerre » Charles Taylor qui depuis a pris le pouvoir au Liberia. Le RUF et Taylor travaillent ensemble pour tirer profit des richesses minières en exportant les diamants via le Burkina Faso du dictateur Blaise Campaoré. Le marché est tellement juteux, que les armes affluent des ex-républiques d’Union Soviétique, que des compagnies de mercenaires privées sont engagées d’Afrique du Sud et de France. Mais comment d’obscurs « seigneurs de la guerre » peuvent-ils accumuler autant d’argent, d’armement, de relations commerciales pour écouler ces matières premières ? Il y a bien sûr la rapacité de ces dictateurs sanguinaires, mais cela ne suffit pas.

En délicatesse avec les USA et la Grande-Bretagne, Taylor s’est tourné vers des alliés plus compréhensifs. Il admet sans fard dans un entretien à Politique Internationale (hiver 98-99) « Les hommes d’affaires français [...] ont pris des risques [lorsque je combattais au maquis]. Ce qui explique qu’ils aient [au Liberia] une longueur d’avance ». Charles Taylor avait pris le pouvoir avec le soutien et la caution de la Côte d’Ivoire d’Houphouët Boigny et du Burkina Faso de Blaise Compaoré. Et avec la bienveillance de l’impérialisme français qui par leur intermédiaire poussait ses pions face à ceux des anglo-américains.

Qui trouvons-nous de l’autre côté ? En principe les « chevaliers blancs » de l’ONU, mais en réalité cela ne vaut pas mieux. Le dirigeant officiel du Sierra Leone est Ahmad Tejan Kabbah qui est aussi peu soucieux des populations que ses adversaires. Il est soutenu par l’ONU et son corps expéditionnaire le MINUSIL. Mais la situation y est si instable, que l’ancienne puissance coloniale a dû revenir en force. En effet l’armée britannique a dépêché 900 parachutistes, huit navires de la Royal Navy et des troupes du Commonwealth. Bref le ban et l’arrière ban de l’ancien empire britannique au service des intérêts bien compris de multinationales peu regardantes sur les formes. Quant à l’ossature de l’intervention sur le terrain, elle est toujours constituée des soldats du Nigeria qui s’étaient, eux aussi, livrés à des exactions sur des civils en janvier 1999.

Toutefois, parce qu’en affaires la confiance est toujours relative, ce sont des compagnies privées à la solde des trusts miniers qui encadrent les troupes régulières et les milices loyalistes du Sierra Leone. Le droit intéresse bien peu l’ONU ; là contrairement au Kosovo, pas de discussions, même de façade, sur les droits de l’Homme. Elle est là pour assurer un statu-quo dans une zone traditionnellement sous influence anglo-saxonne. En juillet 1999 un accord fut conclu avec le RUF sans état d’âme pour tous les massacres. Impunité des crimes, intégration à l’appareil d’Etat des hommes de Sankoh, et pour ce dernier la vice-présidence et... la commission responsable de l’exploitation des diamants. Il est vrai qu’on est entre gens de bonne compagnie, et après tout le sanguinaire Sankoh avait commencé sa carrière comme... « casque bleu ». Mais son appétit fut plus grand que prévu, et les hostilités reprirent.

Après le génocide du Rwanda, puis la guerre en République Démocratique du Congo, la crise larvée du Sierra Leone met en lumière le jeu sanglant des impérialistes et des trusts. Il consiste à redéfinir les zones d’influence par des guerres, des opérations de déstabilisation. Plus faible aujourd’hui, l’impérialisme français n’en est pas moins dangereux car il se montre prêt aux pires alliances pour préserver ses prérogatives.

Ces deux blocs d’intérêts, anglo-saxon et français, ont en commun d’être totalement hostiles aux populations du Sierra Leone. Et ils partagent une autre similitude : les gouvernements français et anglais sont de gauche. Il y a des ironies macabres de l’histoire qui se répètent.

Tristan KATZ

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