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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 51, mai-juin 2007

Citroën-Aulnay : la grève qui a mis les 300 € mensuels à l’ordre du jour

Mis en ligne le 10 mai 2007 Convergences Entreprises

Après six semaines de grève, les travailleurs en lutte de Citroën-Aulnay ont dû reprendre le travail sans avoir obtenu satisfaction sur les revendications essentielles mises en avant : 300 € nets pour tous, un salaire d’embauche de 1 525 € nets, la transformation des contrats de 700 intérimaires en CDI et le départ en retraite des plus de 55 ans. Ce sont en fait des objectifs pour toute la classe ouvrière de ce pays, et qui ne peuvent être atteints à coup sûr que par un mouvement d’ensemble. Mais avant de les atteindre, il faut bien que certains aient l’audace de les proposer les premiers. Ce mois de mars, ce furent les travailleurs de Citroën-Aulnay.

La conscience de cette audace explique en partie que, au grand dam de la direction, le moral des grévistes n’a pas été entamé par le résultat. Du 11 au 22 avril, la direction reconnaît avoir perdu une journée et demie de production au cours de petits mouvements, ce qui en dit long sur l’ambiance dans les ateliers… après la grève.

Le conflit a été âpre et long, mais de bout en bout conduit et contrôlé par les grévistes eux-mêmes.

Ce qui a mis le feu aux poudres ?

Le succès de la grève de Magnetto, un sous-traitant italien à qui a été confié l’emboutissage des pièces fournies à Aulnay, et dont les ateliers font partie de l’usine. Le 22 février, une grève y éclate pour les salaires. Après trois jours de conflit, les grévistes obtiennent satisfaction sur toute la ligne : 100 € nets d’augmentation, 75 € de prime de reprise, 5 jours de congés supplémentaires, l’embauche de dix intérimaires, l’absence de sanctions, etc. La continuation de la grève menaçant de bloquer les sites d’Aulnay et de Madrid, les directions des deux entreprises ont préféré céder.

Les travailleurs d’Aulnay, mécontents de l’accord salarial accordant 1,6 % pour l’année, signé en février par tous les syndicats sauf la CGT et Sud, se mettent en mouvement à leur tour le 28 février. D’abord limité à quelques dizaines d’ouvriers du montage et de l’assemblage des portes, le mouvement fait rapidement tache d’huile et en fin d’après-midi, deux cents ouvriers de fabrication sont en grève, dont des moniteurs et des intérimaires. L’équipe de nuit suit et la production de C2 et de C3 est complètement arrêtée. Le jeudi, une partie de l’équipe du matin entrée en lutte, l’assemblée générale décide aussitôt d’élire un comité de grève et d’aller rendre visite aux caristes de Gefco à Survilliers, un sous-traitant de Citroën, aussi en grève pour les salaires.

Cette grève ne tombe pas d’un ciel serein

La situation est tendue dans l’usine. Les salaires sont minables. L’explosion du prix de l’immobilier pèse. Comment payer un loyer de 700 € avec un salaire de 1 100 € ? La part des salaires dans la fabrication d’une voiture est passée de 16 % il y a vingt ans à 7 % aujourd’hui ! La productivité a augmenté de 25 % dans le même temps. L’entreprise a parfois employé plus de 30 % d’intérimaires payés au Smic et les salaires d’embauche ne sont que de 1 200 €.

Citroën a écumé le département 93 à la recherche de main-d’œuvre. Près de 22 000 jeunes sont passés sur les chaînes de fabrication du site, depuis une vingtaine d’années, et n’y sont pas restés, vu les conditions de travail et la hargne d’un encadrement omniprésent.

Une grève en 2005, défensive, visait à compenser les pertes de salaires dues au chômage technique mais son souvenir est resté vivace. De plus différents mouvements chez les sous-traitants Gefco, Taïs, Valéo et Enci, ont été suivis le 14 novembre 2006 par une grève victorieuse d’intérimaires. La grève de février-mars a été offensive pour des augmentations de salaires substantielles...

À quelles difficultés se sont heurtés les grévistes ?

D’abord ils étaient très minoritaires. Après quelques jours, la grève a plafonné à 500 grévistes, sur les 3 500 ouvriers de fabrication (l’usine compte 4 500 salariés). Cela a pourtant suffi à perturber considérablement la production : le patron a fait état en fin de conflit de 20 000 véhicules et 300 millions d’euros de manque à gagner. La tentation était grande de bloquer l’ensemble de la production en bloquant carrément l’usine mais cela aurait eu pour résultat négatif d’opposer les ouvriers les uns aux autres.

Ensuite, le patron était déterminé à ne pas céder, soulignant que son bénéfice net avait fondu en 2006 de 83 %, pour atteindre 176 millions d’euros, et « qu’il n’était pas envisageable de négocier au niveau de tel ou tel site… Si nous voulions accéder aux revendications, le coût pour l’entreprise avoisinerait les 500 millions d’euros. » Les grévistes, eux, savaient que la firme avait engrangé, en 9 ans, 8 milliards d’euros de bénéfice net et racheté pour 1 milliard d’euros de ses propres actions l’an passé, pour en faire monter le cours, mais pour un patron ce n’est jamais le moment de lâcher des augmentations !

Enfin il a utilisé l’ensemble des moyens à sa disposition pour casser la grève. Alors que la production avait chuté d’un tiers, il a tenté de déplacer des ouvriers d’autres ateliers mais s’est heurté à de nombreux refus, y compris chez les intérimaires. Puis il a voulu se servir des intérimaires, mais dut arrêter sous la menace d’un jugement du tribunal de grande Instance de Bobigny, rendu bien tardivement le 26 mars alors qu’il n’y avait plus d’intérimaires employés illégalement dans l’usine. Et finalement il utilisa des ouvriers sous contrat PSA, qu’il fit venir de province, en particulier de l’usine de Rennes. Vu les réticences, il fut obligé de passer leur prime de 400 à 700 € et de les parquer dans un hôtel à l’abri des grévistes.

Les manoeuvres d’intimidation, provocation, lettres de menace, monnaie courante dans l’entreprise, se multiplièrent sans compter la propagande incessante contre « une grève politique. »

Qu’est-ce qui a fait tenir les grévistes si longtemps ?

Leur détermination et leur rage de vaincre d’abord.

Deux témoignages d’ouvriers cités dans l’Humanité sont significatifs de cette volonté d’en finir avec cette situation : « Le patron nous a augmenté de 20 €. C’est quoi ça ? Un kilo de boeuf ! » « Pour aller aux toilettes, il faut appuyer sur un bouton. Le moniteur arrive, repart et revient 20 minutes plus tard pour dire qu’il n’y a personne pour vous remplacer à cause du manque d’effectifs. Je bousille ma vessie pour PSA. »

Leur organisation ensuite. L’élection d’un comité de grève, d’une centaine de membres élus par l’assemblée des grévistes, comité responsable devant l’assemblée générale, qui a permis à la démocratie ouvrière de fonctionner sans entrave. Le comité se réunissait dans une salle de repos baptisée pour l’occasion « l’école de la grève ». Le comité était l’embryon d’un pouvoir ouvrier dans l’usine. Il a permis l’organisation de la grève et de faire trancher les divergences entre les syndicats par les grévistes eux-mêmes. Il a rendu possible les initiatives des ouvriers les plus conscients, les plus imaginatifs, les plus déterminés, qui prenaient la parole tour à tour pour définir les orientations des grévistes. Il a donné le moral et rendu possible, au travers de discussions et de débats parfois animés, la cohésion des participants face au patron et devant les différentes situations. Les commissions financières, mairies, journal, actions surprise, ont structuré et rendu publique l’action du comité de grève.

La grève était menacée d’isolement

À l’intérieur de l’usine d’abord. Aussi le comité de grève s’est adressé à plusieurs reprises aux ouvriers qui travaillaient. Il a réussi à en entraîner certains, fait circuler au quotidien dans l’entreprise le journal de la grève, une pétition de soutien aux grévistes qui a recueilli 1 200 signatures, et au travers de collectes réuni plusieurs milliers d’euros donnés par les non grévistes dont une partie au moins a tenu à montrer sa neutralité bienveillante.

À l’initiative du comité, dès le début de la grève, les ouvriers d’Aulnay ont « rendu visite » aux travailleurs d’autres usines du groupe, à 250 à Citroën Saint-Ouen et environ 400 aux usines de Poissy. L’accueil chaleureux entretenait le moral et menaçait PSA d’extension de la grève. Les sous-traitants n’ont pas été oubliés, ni les travailleurs des usines du voisinage comme ceux de la SITA à Pantin, ceux de Clear Channel qui impriment les affiches électorales, sans compter un rassemblement de 1 000 manifestants à Roissy et à plusieurs reprises au siège parisien de PSA. Au total une cinquantaine d’entreprises, petites et grandes, ont été contactées par des groupes d’ouvriers plus ou moins étoffés.

Les grévistes ont tout fait pour populariser leur mouvement. Différents candidats à l’élection présidentielle sont venus à Aulnay, Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, José Bové et Ségolène Royal permettant de briser le silence d’une bonne partie de l’audiovisuel. C’est le fait d’être à l’avant-garde d’une lutte nationale pour une augmentation de salaire qui a donné un deuxième souffle à la grève en ralliant les 250 travailleurs de Lear à Lagny. En lutte pour obtenir 150 €, ils fabriquent les sièges de C2 et C3 pour Aulnay. Le mouvement d’Aulnay avait dans son sillage d’autres sous-traitants, Lajous à Compiègne revendiquant 45 € et Faurecia Hordin dans le nord.

La grève menaçant de durer, le patron ne donnant pas signe de vie, les finances des travailleurs s’amenuisant, le comité de grève, après dix jours de grève, a organisé des collectes à la sortie des entreprises, des supermarchés, des gares, dans les lieux publics et plusieurs milliers de travailleurs ont versé près de 180 000 € en soutien aux grévistes. Des mairies de gauche et le conseil général du 93 ont accordé des aides.

La grève d’Aulnay était-elle le premier frémissement d’envergure d’une lutte générale pour l’obtention des 300 € ? Il aurait été du devoir des grandes confédérations syndicales d’appuyer ce conflit de tout leur poids organisationnel, politique et militant. Elles se sont cantonnées à soutenir du bout des lèvres.

Après un mois et demi de grève, PSA ne lâchant rien, il ne restait aux ouvriers que la possibilité de reprendre dans l’unité, en évitant les surenchères. C’est ce que le comité de grève et l’assemblée générale ont réussi à faire, permettant aux grévistes de rentrer la tête haute, défilant dans l’usine, fiers de s’être fait respecter par un patron de choc, d’avoir popularisé à l’échelle nationale la revendication des 300 € pour tous, et d’avoir su préserver leur force et leur cohésion pour les luttes à venir.

1er mai 2007

Gil LANNOU

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