CGT : Petits meurtres en famille
28 janvier 2015 Convergences Politique
Les révélations fin octobre 2014 du Canard Enchainé sur les frais de rénovation de son appartement et de son bureau, puis sur son indemnité de départ de la CGT Normandie, auront finalement obligé Thierry Lepaon à démissionner de son mandat le 7 janvier 2015. L’ex-secrétaire général de la CGT se sera pourtant accroché jusqu’au bout, tentant, même démissionnaire, de garder la main sur les organes dirigeants de la CGT.
On a même vu un ancien secrétaire général de la CGT, Louis Viannet, réclamer la tête de Lepaon. Il faut dire que les révélations du Canard n’ont été que la goutte qui a fait déborder le vase, voire une aubaine pour certains. Car cela faisait longtemps que la guerre des clans était déclarée au sein de l’appareil CGT. Souvenons-nous qu’il lui avait fallu un an pour trouver un successeur à Bernard Thibault, et que Thierry Lepaon avait été élu numéro un de la CGT en mars 2013 « par défaut », comme il le dit lui-même.
Et quel secrétaire ! Lepaon avait tout de suite annoncé la couleur, déclarant en février 2013 qu’« il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat ». C’est ce qu’il s’est appliqué ensuite à démontrer. D’abord en décembre 2013, en voulant signer un accord national sur la formation professionnelle, contre l’avis de la délégation qui représentait la CGT à ces négociations : Lepaon a alors soulevé un vent de fronde au siège du syndicat à Montreuil, et il a dû reculer. Puis en juin 2014 en pleine grève des cheminots : Lepaon a également vu des « avancées » du gouvernement, faisant craindre aux grévistes – et aux militants CGT – qu’une négociation ne s’engage dans leur dos. Non, aucun travailleur ni militant CGT combatif ne pleurera le départ de Thierry Lepaon.
Il est possible, à l’heure où nous écrivons, que Philippe Martinez, le secrétaire de la Fédération de la métallurgie, lui succède. Celui-ci a déclaré dans une conférence de presse vouloir « prendre des initiatives pour favoriser l’intervention des salariés, des retraités et des privés d’emploi afin de rompre avec les politiques libérales qui font reculer la société », lutter contre le projet de loi Macron ou encore contre celui du Medef qui veut « moderniser le dialogue social »… en réduisant le nombre de délégués dans les entreprises ! C’est bien le moins qu’on attendrait de la CGT. D’autant que Martinez, inconnu de la plupart des syndiqués il y encore quelques semaines, devra encore gagner les faveurs des militants en vue du 51e congrès de la CGT qui se tiendra en février 2016, et qui aura à valider le nom de son secrétaire général. D’ici là, les luttes internes peuvent encore rebondir. Mais adopter une posture est une chose, la mettre réellement en pratique en est une autre.
Une chose est sûre : les syndiqués et les militants de base de la CGT ont assisté à un bien triste spectacle. Personne d’ailleurs ne les a conviés à donner leur avis. « C’est comme cela à la CGT : la démocratie s’organise et prend du temps », a dit Martinez à sa conférence de presse du 14 janvier 2015. Le temps de régler ses petites affaires entre permanents syndicaux… et de les faire avaliser ensuite par la base.
Alors oui, il est plus que temps de passer à autre chose. Car pendant que la direction de la CGT s’affaire à la lutte des places, la lutte des classes ne s’est pas interrompue : nouvelles annonces de suppressions d’emplois, grèves sur les salaires… Pendant que ça s’agite à Montreuil, les travailleurs et les militants de base dans les entreprises ont d’autres problèmes beaucoup plus importants à régler : comment marquer des points et mettre un coup d’arrêt aux attaques du patronat et de son gouvernement contre le monde du travail ? Mais pour cela, il faudra qu’ils comptent surtout sur eux-mêmes.
15 janvier 2015, Gilles SEGUIN
À faire la roue devant les patrons, Lepaon y perd des plumes
(Éditorial des bulletins d’entreprise L’Étincelle du lundi 15 décembre 2014)
Rénovation de son appartement (105 000 € et 45 000 € de mobilier), de son bureau à Montreuil (62 000 €), indemnité de départ de l’Union régionale CGT de Basse-Normandie lorsqu’il est devenu leader national en mars 2013 (31 000 €) : pour la majorité des salariés, des chômeurs ou des retraités aux prises à des fins de mois difficiles, ces révélations ont de quoi choquer. Pour de nombreux syndiqués et militants CGT au salaire et à la carrière bloqués à cause de leur engagement syndical, ou qui subissent la répression, il y a de quoi se sentir floué. Et la démission du trésorier de la CGT, qui avait avalisé ces dépenses, ne changera rien à ce sentiment d’écœurement.
Les fausses indignations politiciennes
Mais quand Manuel Valls en profite pour réclamer « l’exemplarité à tous les niveaux », il ferait mieux de balayer devant sa porte. Le chef du gouvernement « pro-business » déclare être propriétaire d’un modeste F2 à Paris, alors que son appartement ferait plus de 200 m2 et vaudrait dans les deux millions d’euros. Et les scandales financiers qui touchent régulièrement la classe politique de droite comme de gauche sont d’une tout autre ampleur que quelques centaines de milliers d’euros.
Quant à Marine Le Pen, la pourfendeuse des élites, elle dispose d’un magnifique domaine de 5 000 m2 à Saint-Cloud, d’une maison près de Perpignan, de la maison familiale de La Trinité-sur-Mer et d’un appartement (qu’elle loue) à Hénin-Beaumont.
À force de singer ceux qu’il fréquente
Thierry Lepaon est décidément un petit joueur. Et bien plus petit encore comparé aux grands patrons : ses petits privilèges ne valent rien au regard des 16,6 millions d’euros annuels d’Arnaud Lagardère, des 9,7 millions de Carlos Ghosn, ou de la « modeste » paye de 420 000 € du patron du Medef, Pierre Gattaz, comme PDG de Radiall.
Ceux-là ont bien profité d’avoir à la tête de la CGT, et des autres centrales syndicales, des « syndicalistes de dialogue », passant leur temps autour des tables de négociations et accompagnant, à coups de « compromis » signés sur notre dos, les reculs sociaux qu’on nous impose. L’ex-ouvrier de Moulinex n’a fait que singer ceux qu’il côtoie dans ces sommets, plus préoccupé de ses cravates et du design de son bureau que de la lutte de classe.
En attendant, on nous sert les Macronneries
Partira, partira pas ? Certaines fédérations réclament sa démission, et la question pourrait être tranchée par le « parlement de la CGT », convoqué le 13 janvier prochain. Mais pour bon nombre de militants CGT de base, il est clair que Lepaon ne mérite pas leur confiance. Pire, que ses petites affaires sont un coup de poignard dans leur dos. La « loi Macron » banalise le travail le dimanche et poursuit la politique du gouvernement contre les travailleurs. Des négociations sont en cours entre le Medef et les syndicats sur la prétendue « modernisation du dialogue social », en vue de réduire les droits syndicaux dans les entreprises. Et d’autres attaques sont envisagées contre le CDI, les 35 heures.
Les déboires de Lepaon fournissent ainsi l’occasion rêvée de mener une campagne médiatique contre les syndicats. Campagne qui sert les intérêts du patronat et du gouvernement, plus disposé que jamais à satisfaire les moindres désirs de Gattaz et consorts.
La pire des démissions
« Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat », avait déclaré Thierry Lepaon à la presse en février 2013. Mais le patronat en réclame bien plus. Tendez-lui la main, il vous mangera le bras… Alors, que Lepaon soit ou pas débarqué n’est qu’une question annexe. L’essentiel est de savoir si la direction de la CGT continuera à démissionner face au combat à mener contre le patronat.
Les militants de base des syndicats et les travailleurs non syndiqués ne pourront compter que sur eux-mêmes, sans attendre les hautes sphères syndicales, pour reprendre le chemin des luttes contre l’offensive du patronat et du gouvernement.
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