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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 23, septembre-octobre 2002

Brésil : Lula et le Parti des travailleurs, un recours pour la bourgeoisie

Mis en ligne le 5 octobre 2002 Convergences Monde

En octobre, les Brésiliens vont élire le président de la République, les gouverneurs des 26 Etats et du district fédéral de Brasilia, les députés au parlement national et aux parlements des Etats, ainsi qu’une partie des sénateurs.

Luiz Inacio da Silva (« Lula ») est à nouveau le candidat du Parti des Travailleurs : après que son parti a réalisé un score modeste au début des années 1980 (avec 3% des voix), il a failli l’emporter aux élections présidentielles de 1989 avec 17 % des voix au 1er tour et 47 % au 2e tour. En 1994 et en 1998, malgré une progression importante au 1er tour (27 % et 35 % des voix), il n’a pu accéder au 2e tour face à Fernando Henrique Cardoso, l’actuel président. Mais cette année, le « Lula light » (comme le surnomment certains de ses supporters plutôt amers) semble décidé à mettre le paquet pour se présenter comme un politicien bourgeois des plus respectables, en espérant que cela pourrait lui assurer la victoire.

Un programme dirigé contre les travailleurs

Ce n’est évidemment pas qu’une question d’image et de costumes trois-pièces taillés sur mesure : au cours de sa campagne très médiatique il a multiplié les gestes et les déclarations pour rassurer les milieux patronaux et l’armée. Ainsi, la puissante Fédération des industries de l’Etat de Sao Paulo (après l’avoir voué aux gémonies durant les années 1980) ne tarit plus d’éloge sur son « réalisme », reflétant un point de vue qui semble désormais bien partagé dans les milieux de la bourgeoisie (même si certains feignent toujours d’avoir peur et joueraient contre lui en favorisant la montée du dollar contre le real, la monnaie nationale).

Le programme de Lula se réduit désormais à quelques promesses sur des créations d’emplois, la réduction du travail hebdomadaire à 40 heures et le doublement du pouvoir d’achat du salaire minimum (actuellement de 70 euros par mois) en quatre ans. Les grandes déclarations sur la nécessité d’une « rupture avec l’actuel modèle économique » ont été rangées aux oubliettes.

Surtout, Lula s’est engagé à ne pas mettre en cause les privatisations et à respecter tous les engagements qui ont été pris par le président Cardoso vis-à-vis du FMI pour rembourser une dette publique dont le montant atteint presque 60 % du PIB ! La crise économique - après avoir ravagé l’Argentine voisine - est en train de conduire le Brésil au désastre, mais c’est ouvertement que Lula se présente désormais comme l’ultime recours, le seul capable d’imposer aux classes populaires un « pacte social » qui leur ferait supporter tout le fardeau des sacrifices !

Le réformisme du PT

L’alliance de Lula avec José Alancar comme vice-président n’est donc que la cerise sur le gâteau [1]. Il serait en tout cas absurde d’y voir une « alliance contre-nature », d’autant que cela n’est pas vraiment nouveau.

Certes les syndicalistes à l’origine du PT (dont Lula qui fut le dirigeant du syndicat de la métallurgie de Sao Berbardo do Campo, une banlieue industrielle de Sao Paulo) se sont fait connaître au cours des grandes grèves ouvrières de 1978 et 1979 qui ont accéléré la fin de la dictature militaire installée au pouvoir depuis 1964. Représentant un courant radical au sein du mouvement syndical (avec la fondation de la CUT, Centrale unifiée des travailleurs), ils ont cherché à créer un parti avec le souci d’intervenir dans la vie politique, et d’abord pour modifier les lois en faveur des syndicats. Né en pleine lutte contre la dictature, le PT est effectivement apparu comme un parti ouvrier, sans doute davantage inspiré par la « théologie de la libération » que par les idées marxistes, mais qui revendiquait cette identité de classe, présentant des candidats aux élections en soulignant qu’ils étaient ouvriers ou employés, qu’ils avaient dirigé des grèves ou connu la prison.

Cela n’en faisait pas pour autant un parti révolutionnaire, et les mêmes dirigeants ont également pris leurs précautions pour ne pas offrir aux quelques militants issus des courants maoïstes ou trotskistes les moyens de gagner une réelle influence au sein du parti. Ils ont par contre choisi dès les premières années d’accueillir au sein de la direction du parti des députés issus de l’opposition libérale qui ont rapidement pesé bien davantage que ses militants ouvriers. Et dès les élections municipales de 1983, le PT s’est engagé dans une politique d’alliance avec différents partis du centre et de la droite libérale (notamment avec le PMDB et plus tard avec le PSDB [2]).

Le choix d’apparaître aussi comme un parti respectable et institutionnel s’est donc manifesté très tôt. Les succès électoraux aux municipales de 1988 (et aux présidentielles de 1989) ont évidemment renforcé cette tendance. Propulsé à la tête de plus de 35 grandes villes (dont Sao Paulo où l’équipe municipale s’est discréditée en très peu de temps par ses pratiques de clientélisme et de corruption), le PT s’est alors transformé en un parti gestionnaire, et surtout sa direction est devenue totalement indépendante des dizaines de milliers d’adhérents d’origine ouvrière et populaire, s’appuyant désormais sur une appareil considérable de notables qui, depuis, ont seuls les moyens d’influer sur sa politique.

En très peu de temps, le PT est ainsi devenu dans ce grand pays du Tiers Monde qu’est le Brésil un parti tout à fait comparable à la social-démocratie européenne, c’est à dire un parti bourgeois d’un type un peu particulier, préservant avec la classe ouvrière des liens qui ne sont pas uniquement électoraux mais sans que cela l’engage à défendre ses intérêts.

Quelle alternative ?

Aujourd’hui, la campagne de Lula -tout en rassurant la bourgeoisie- semble surtout s’adresser aux classes moyennes. Cela ne peut que désappointer les milieux populaires, les travailleurs et les classes pauvres du Brésil, et surtout les adhérents qui ne sont d’ailleurs même pas invités à faire réellement campagne.

De la part d’un parti qui dirige non seulement des municipalités importantes mais des Etats, et qui a déjà un certain savoir faire pour briser des grèves et contenir les révoltes de la population (même lorsque ce sont ses propres adhérents qui y participent, par exemple au travers du Mouvement des Sans-Terres ou de la CUT), cela n’a rien d’étonnant : il n’a aucun intérêt à susciter trop d’illusions dans le cas où il arriverait au pouvoir, surtout dans un contexte où l’économie est menacée d’effondrement et l’agitation sociale a pris une certaine ampleur dans les pays voisins.

Que fera l’extrême-gauche ? La plupart des courants trotskistes [3] sont aujourd’hui encore immergés au sein du PT et ont longtemps caressé l’espoir de le transformer en un parti révolutionnaire de masse. Ont-ils fait le deuil de ces illusions ? On peut en tout cas se demander s’ils ont aujourd’hui la possibilité et même la volonté de défendre une politique vraiment différente auprès de la grande masse des travailleurs, puisque l’essentiel de leur politique consiste à faire de la propagande autour de l’expérience municipale de Porto Alegre et de son « budget participatif » !

Or si cette expérience montre qu’il est possible de gérer un peu plus honnêtement une ville d’un million d’habitants, en en invitant au mieux quelques milliers à se prononcer sur le choix entre une école et un tout-à-l’égout dans un quartier, elle ne peut évidemment pas être une réponse politique offrant de réelles perspectives face à la catastrophe imminente qui menace le pays, et face à la bourgeoisie et à son Etat !

Dans ce contexte de crise la construction d’un parti communiste révolutionnaire serait plus que jamais indispensable. Les possibilités existent sans doute, mais à condition de défendre un programme de lutte qui réponde réellement aux besoin de la population et qui s’en prenne ouvertement aux intérêts capitalistes comme à ses défenseurs, dont Lula et les dirigeants du Parti des travailleurs.

25 septembre 2002, Raoul GLABER

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[1C’est un des plus gros industriels du textile, membre du Parti libéral, un petit parti de droite, partiellement contrôlé par une secte évangélique très influente : « l’Eglise universelle du royaume de Dieu ». En 1998, Lula avait reçu le soutien officiel de Collor, cet ancien président qui avait été déchu pour corruption.

[2Malgré son nom de « Parti Social-Démocrate du Brésil », ce dernier est un parti bourgeois sans aucun lien avec le mouvement ouvrier. Il n’est même pas étiqueté comme étant « de gauche », à la différence du PS de Jospin et de Strauss-Kahn. L’actuel président Cardoso est membre de ce parti.

[3C’est le cas notamment de Démocratie Socialiste qui appartient au même courant international que la LCR en France.

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