Belgique : la grève redevient à la mode...
Mis en ligne le 10 novembre 2005 Convergences Monde
100 000 personnes dans les rues de Bruxelles le 28 octobre ; une manifestation colorée par les tenues des manifestants - rouges pour la FGTB (syndicat socialiste), vertes pour la CSC (syndicat chrétien) et bleues pour la CGSLB (le syndicat libéral) ; une manifestation populaire ponctuée par les sifflets et les pétards mais sans banderoles, ou presque, et sans slogans. Mais ce qui la caractérisait surtout, c’est que les directions nationales des syndicats l’avaient convoquée suite à des manifestations et des débrayages dans les entreprises, organisés par des syndicats locaux ou plus ou moins spontanément par les travailleurs. Pour paraphraser un journal : « la Belgique d’en bas a imposé la grève aux directions syndicales d’en haut ».
Il s’agissait de protester contre le plan du gouvernement pour faire reculer l’âge de départ en retraite et préretraite des salariés : plan baptisé « contrat de solidarité entre générations ».
Ce plan, le gouvernement en parle et le négocie avec les organisations syndicales et les organisations patronales depuis des mois. Dès juin, il avait écrit une note sur « le vieillissement actif » devant servir de base aux négociations : recul programmé de l’âge de la préretraite, l’augmentation des années de travail pour l’obtenir, des pressions sur les futurs préretraités pour qu’ils restent tout de même disponibles sur le marché du travail.
La pression des travailleurs
La CSC commença par expliquer que si le texte restait en l’état, elle appellerait les travailleurs à la grève générale. Puis en septembre, devant le peu de résultats des négociations, la FGTB décida de lancer seule un appel à « la grève générale » pour le 7 octobre tandis que la CSC, après avoir déposé un préavis de grève pour le 10, se ravisait et expliquait qu’elle privilégiait la négociation. Elle avait, paraît-il, 13 bonnes raisons de dire non au plan en juillet, mais s’en trouvait 10, en octobre, pour ne pas faire grève.
La direction du syndicat n’avait appelé que la veille de la grève. Aucune manifestation n’était prévue. Mais cette grève a été bien suivie dans tout le pays : de nombreux magasins furent même fermés par des piquets, et dans de nombreux secteurs les militants de la CSC se rallièrent.
Les choses auraient pu en rester là. Aucune suite précise n’était annoncée au 7 octobre. Et, comme au confessionnal, les directions syndicales se contentèrent d’aller rencontrer une à une le Premier ministre qui, devant le Parlement, put annoncer sa réforme.
Mais des syndicats de base, dès le discours du Premier ministre terminé, organisèrent des débrayages, en particulier dans les plus grosses entreprises. Tous les jours, la presse en annonça de nouveaux. Or, si certaines de ces délégations syndicales ont la réputation de faire partie des « gauches syndicales », d’autres comme chez Volkswagen (premier employeur privé de la région bruxelloise) ont avalisé jusque-là tous les mauvais coups de la direction de l’entreprise : licenciements et blocage des salaires. Et, le 24 octobre, une manifestation de la FGTB et de la CSC rassemblait 15 000 personnes à Charleroi, une des principales villes ouvrières du pays.
Devant cette mobilisation, les directions syndicales se sont senties obligées d’appeler à une manifestation nationale le 28 octobre, en gros mieux préparée que celle du 7 octobre, même si, alors que la FGTB appelait à la grève générale, la CSC appelait « seulement » à la grève laissant à ses syndicats le soin de décider les formes d’action.
Contre-offensive patronale
La FGTB fait partie des bureaux des directions des deux partis socialistes (wallon et flamand) ; la CSC, quant à elle, a ses relais politiques dans les deux partis démocrates chrétiens. Suite à une rencontre, la veille du défilé, entre FGTB et CSC et des dirigeants du PS et du SPA (parti socialiste flamand), le secrétaire général de la FGTB a déclaré que « le PS et le SPA annoncent une concertation sur les « modalités ». Moi, je ne suis pas braqué sur le vocabulaire. Si ces modalités donnent assez de marge, ça me va ». Une façon de dire qu’il était prêt à retourner à la table des négociations si le gouvernement (où le PS a des ministres) lui donne « du grain à moudre ».
Cette manifestation du 28 octobre a pourtant entraîné la colère du patronat et du gouvernement dans un premier temps. Le Premier ministre a déclaré que, même si la manifestation était un succès, il ne changerait rien à sa réforme. Le ministre de l’Intérieur est monté au créneau pour dire que la police agirait si des piquets de grève empêchait « la liberté du travail ». Des députés de droite ont présenté un projet de loi contre ces piquets. Et le patronat a multiplié les déclarations et les mesures. À Caterpillar, la direction a envoyé une lettre à chaque travailleur. Des numéros d’urgence de cabinets d’avocats et d’huissiers ont été diffusés aux patrons pour y avoir recours en cas de piquets devant les usines. Des publicités anti-grèves ont été payées dans les journaux par la fédération des entreprises (FEB, syndicat patronal). Dans l’entreprise de transport international de courrier, TNT, la direction a obtenu la veille, par un jugement en référé, une astreinte de 2 500 € par membre du piquet et par heure pour toute entrave à l’accès du personnel au travail ! Le directeur de la Chambre de commerce de Bruxelles a même été jusqu’à survoler Bruxelles en hélicoptère afin de « repérer les infractions commises dans le cadre de la grève » !
Les syndicats se sont contentés de rappeler qu’ils avaient signé en mars 2002 « un protocole de règlement négocié des conflits collectifs » et qu’ils s’en tenaient à cet accord ; qu’ils n’étaient pas des « agitateurs irresponsables » et d’ailleurs qu’ils disposaient de moyens - services d’ordre - pour assurer la sécurité.
La négociation ou la grève ?
La manifestation réussie, Premier ministre, ministre de l’Intérieur et patronat se sont faits moins arrogants. Mais tout ce que consent le gouvernement, c’est discuter les modalités d’application de la réforme avec les directions syndicales. Et celles-ci doivent se réunir le 8 novembre pour décider d’une suite ou non « en fonction de l’attitude du gouvernement ».
Est-ce que les syndicats, très intégrés à l’État, se lanceront dans cette négociation sur l’application de la réforme ? C’est le plus probable. À moins que la combativité et la réaction des travailleurs et des syndicalistes de base les obligent à organiser d’autres actions.
Pas impossible : la FGTB métal (CMB), sans attendre les réunions syndicales « au sommet », propose déjà une nouvelle journée de grève le 21 novembre si les pourparlers avec le gouvernement sont insuffisants. La centrale des employés de la FGTB de la Région Bruxelles-Halle-Vilvorde, avec ses 70 000 affiliés, demande que les relations privilégiées avec les deux PS soient revues et annonce qu’elle ne participera plus aux bureaux des deux partis.
Ce qui est sûr, c’est qu’il existe un mécontentement certain devant le chômage important dû aux nombreux licenciements liés aux restructurations des entreprises, devant le chômage des jeunes alors que le gouvernement veut reculer l’âge de la préretraite, devant les salaires qui stagnent quand les loyers grimpent et la misère augmente... Un ras-le-bol existe, c’est sûr. Continuera-t-il à s’exprimer, débordera-t-il le cadre syndical ? Il serait bien nécessaire en effet qu’un tel mouvement se dessine, mettant en avant la lutte jusqu’au retrait total du plan gouvernemental, débordant les centrales syndicales, dirigé et contrôlé par les travailleurs eux-mêmes.
Un article du journal patronal Trends tendances ne semble-t-il pas lui-même se poser la question quand il titre : « la grève redevient-elle à la mode » ?
Le 30 octobre 2005
Paul GALLER
Panorama syndical
En Belgique le taux de syndicalisation est de près de 60 %. La FGTB aurait ainsi 1 200 000 adhérents. Cette situation s’explique par en partie par :
- Les syndicats gèrent les assurances et les bureaux de paiement des allocations chômage. En cas de chômage, pour un syndiqué depuis 6 mois au moins, le syndicat verse des avances sur les allocations chômage à venir.
- Les cotisations syndicales sont remboursées, dans de nombreux secteurs, à moitié, par une prime syndicale qui vient du patronat ou du gouvernement.
- En cas de grève d’une journée au moins, le syndicat rembourse une partie de l’argent perdu par le travailleur au cours de cette journée de grève si le mouvement de grève est couvert par un préavis syndical.
- Il n’y a pas de harcèlement, jusqu’à maintenant, dans les entreprises ou les administrations, le patronat et le gouvernement qui jouent la carte de la négociation avec les « partenaires sociaux ».