Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 85, janvier-février 2013 > DOSSIER : Deux ans après le renversement de Ben Ali et Moubarak : Restent à (...)

Au royaume du Maroc, un petit air de carmagnole au cri de : Mamfakinch !

28 janvier 2013 Convergences Monde

(Mamfakinch signifie « on ne cède pas », « on ne lâche rien ! »)

Il y a deux ans, avec Ben Ali viré et Moubarak dégagé, le vent d’est avait soufflé sur le Maroc et semé l’envie d’en découdre avec le régime. Les mobilisations ont débuté le 20 février 2011 : des centaines de milliers de manifestants dans les principales villes marocaines et dans certains villages avaient défilé pour protester contre les pleins pouvoirs du Roi et contre la misère. Les organisateurs de cette manifestation s’étaient baptisés Mouvement du 20-Février. Cette coalition d’organisations politiques et d’associations a entraîné des étudiants, des lycéens, des chômeurs, des salariés dans des manifestations hebdomadaires contre le régime. Mais ce mouvement a aussi soutenu et impulsé des luttes dans les villages et des mobilisations de mineurs et de pêcheurs. De quoi donner des sueurs froides au roi du Maroc.

Ne voulant pas voir écrit son nom sur la liste des dictateurs déchus, Mohamed VI avait orchestré en mars 2011 une vaste farce démocratique en proposant à tout un cartel d’organisations politiques ainsi qu’à des membres de l’intelligentsia de travailler à l’écriture d’une nouvelle constitution. Elle a été adoptée par référendum en juillet 2011 avec 98,5 % de oui. Mais si les mobilisations dans le pays sont alors restées limitées, elles n’en ont pas moins joué un rôle dans les mouvements sociaux que l’on voit aujourd’hui dans le pays. Cette première vague de luttes a redonné du souffle à la contestation politique marocaine.

La Constitution et la matraque

Avec cette nouvelle Constitution, certaines prérogatives jusqu’alors dévolues au roi sont passées dans les mains du premier ministre, nommé par... le roi ! Constitutionnellement, le Maroc connaît à présent l’indépendance de la justice et du pouvoir politique. Dans la réalité, c’est une autre histoire, comme en témoignent les peines de prisons prononcées contre des jeunes pour leur participation aux défilés du Mouvement du 20 Février. Dernièrement un manifestant a été condamné à un an de prison ferme pour « atteinte à la sacralité du roi ». Son crime : s’être déguisé en Mohamed VI, avec canne, chapeau rouge et habit traditionnel !

Le PJD (Parti de la Justice et du Développement), le parti islamiste au pouvoir, est sorti majoritaire des élections législatives de novembre 2011, mais l’abstention a atteint plus de 50 %.

En même temps que Mohamed VI offrait des places de ministres aux partis officiels, dont la direction du gouvernement au PJD soumis à ses ordres, il a intensifié la répression des opposants. Depuis 2011 des centaines d’entre eux ont été enlevés, tabassés, enfermés ou torturés par les forces de l’ordre et les baltaguia – des voyous qui attaquent les manifestations d’opposition pour quelques dizaines de dirhams.

2012, une année d’intensification des luttes

La répression n’a pas empêché la colère de s’exprimer. Le Mouvement du 20-Février organise encore des mobilisations dans les grandes villes. Le 18 novembre 2012, de nombreux manifestants de Rabat ont répondu à son appel pour lutter contre la loi budgétaire de 2013. Comme chaque année, Mohamed VI s’est offert une coquette somme sur le budget de l’État : 234 millions d’euros, payés par le contribuable. La propagande qui qualifie Mohamed VI de « roi des pauvres » fait de moins en moins recette ! Les raisons de la colère sont nombreuses : explosion des prix, licenciements en cascade, conditions de travail difficiles, isolement de villes et de régions dépouillées des services publics élémentaires. Du coup, les exonérations d’impôt systématiques des plus riches et les revenus mirobolants du monarque grand actionnaire deviennent de plus en plus insupportables aux yeux des travailleurs.

Le roi milliardaire possède un conglomérat d’entreprises dont certaines exploitent les mines marocaines. Mais les « sujets » salariés sont décidément irrévérencieux ; pour de meilleures conditions de travail, pour leurs congés et leur retraite, 300 mineurs ont fait grève au mois d’octobre dernier dans les mines de cobalt de Bou Azzer près d’Ouarzazate. Cette lutte faisait écho à celle des femmes de Ouarzazate entamée quelques jours plus tôt pour dénoncer la mafia du microcrédit qui étouffe les familles surendettées. Pour contrer l’arrestation de huit mineurs mobilisés, une grève générale a débuté le 15 octobre à Ouarzazate. Ils ont été relâchés même si trois d’entre eux font toujours l’objet d’une procédure judiciaire.

De même, les mineurs du Djebel Aouam ont fait plus de deux semaines de grève en décembre. Suite à la mort au travail récente de cinq de leurs collègues, ils ont combattu pour que les conditions de travail soient plus sûres. Ils réclamaient aussi une augmentation de leur prime et la titularisation des mineurs intérimaires [1].

L’ébullition sociale ne se cantonne pas aux régions minières. Les pêcheurs indépendants se sont mobilisés l’année dernière contre l’État qui voulait supprimer leur caisse de secours collective en cas de départ à la retraite ou d’accident du travail. Et ce mois de janvier, le port de Laâyoune (au Sahara occidental) a été paralysé par plus de 3 000 marins pêcheurs de nouveau en grève contre l’interdiction de pêcher dans certaines zones abandonnées aux grands groupes industriels de la pêche.

Les mouvements sociaux concernent aussi les grandes villes ; en décembre, les habitants du quartier populaire de Sidi Youssef Ben Ali à Marrakech n’ont pas baissé les bras quand ils ont pris connaissance des nouveaux tarifs d’eau et d’électricité. L’augmentation exorbitante les a poussés dans la rue. S’en sont suivis deux jours de manifestations et de sit-in à Marrakech, où ils ont été rejoints par des habitants d’autres quartiers. Pour un temps, les jeunes ont fait reculer les forces de l’ordre pour défendre leur mobilisation. Ce mouvement succède à celui de la ville de Figuig dont les habitants luttent de façon continue depuis le 17 décembre contre l’absence de tout service public. La population doit parcourir 200 kilomètres pour la moindre démarche administrative.

Il y a deux ans, Sarkozy avait prétendu voir dans la Constitution de Mohamed VI une « transformation profonde, pacifique et moderne de la société marocaine ». Le Parti socialiste français en avait loué ses vertus démocratiques. Le 13 janvier 2013, pendant que Mohamed VI rencontrait François Hollande en France, les coups de matraques de la police marocaine pleuvaient sur des centaines de manifestants.

Aux yeux des classes populaires le prétendu tournant démocratique de Mohamed VI a fait long feu. L’année 2012 a été particulièrement riche en luttes sociales. Les soulèvements dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient ont au moins libéré la parole et redonné espoir aux luttes des travailleurs et des jeunes.

15 janvier 2013,

Norhane KAYANE et Alek SOZEN


[1À voir : le blog de la militante Souad Guennoun d’Attac Maroc qui a mis en ligne les documentaires qu’elle a réalisés, notamment sur la condition des ouvrières d’une usine de textile ou de celle de mineurs : www.dyade-ad.com/galerie-video-de-souad-guennoun-2/

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article