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DOSSIER : Accidents du travail et maladies professionnelles : faux frais de l’exploitation pour le patronat et l’Etat

Au bon plaisir du prince... et du patronat

Mis en ligne le 22 juin 2004 Convergences Société

Les lois censées protéger la santé et la sécurité des travailleurs ont bien des limites. Encore faudrait-il qu’elles soient réellement et rigoureusement appliquées !

L’Etat lui-même ne s’en est jamais donné les moyens.

L’inspection du travail , créée dès le siècle dernier avec pour fonction essentielle la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, a vu ensuite ses missions s’étendre, jusqu’à embrasser l’ensemble du code du travail. Mais l’effectif, lui, est toujours resté modeste : il y aujourd’hui environ 500 inspecteurs, et 1000 contrôleurs du travail, qui doivent suivre près d’un million d’établissements. Selon Philippe Askenazy (Les désordres du travail), « un inspecteur du travail dispose en moyenne de la moitié de son temps pour contrôler le respect de la réglementation en matière de santé et de sécurité, dans 1200 établissements rassemblant 12 000 salariés, soit 20 % de plus qu’en 1987. »

De plus, au fur et à mesure que les gouvernements de ces dernières décennies s’ingéniaient à « détricoter » le code du travail et à laisser le patronat prendre ses aises, les inspecteurs étaient priés eux aussi de faire preuve de « souplesse ». En clair : pas trop harceler ni sanctionner le patron délinquant, mais élaborer des compromis et établir des relations de confiance avec lui. Résultat de ces consignes répétées maintes fois par les notes d’orientation des ministres et des directeurs des Relations du travail : 1,4 % des infractions constatées dans le domaine de la santé et de la sécurité sont sanctionnées par un procès-verbal. Et encore : Selon M. Gollac et S. Volkoff (Les Conditions de travail), « quand procédure il y a, la majorité des affaires sont classées sans suite par les magistrats ». Pour comparaison : le taux de verbalisation est de 1 sur 10 pour les affaires de travail clandestin et pour les fraudes à l’obtention des allocations chômage !

Ce laxisme n’a d’ailleurs pas pour seul effet de relâcher les nerfs des patrons... et leur propension à prévenir les accidents en améliorant les conditions de travail et de sécurité, elle enlève aussi aux salariés victimes la possibilité de se constituer en partie civile dans un procès, et un atout parfois décisif pour faire reconnaître la « faute inexcusable » de l’employeur, dans le cadre d’une instance en réparation.

Les médecins du travail , eux, sont 10 fois plus nombreux que les inspecteurs. Mais c’est bien peu au vu des besoins. Dans les grandes entreprises dotées d’un service médical, les médecins du travail peuvent avoir en charge... 1500 à 2000 salariés ! Le ratio est encore plus accablant dans les PME, qui cotisent à un service interentreprises, dont les coûts de fonctionnement sont surveillés de très près : 3000 salariés en moyenne par médecin, disséminés dans 200 à 300 entreprises.

En théorie, le « médical » de l’entreprise n’est pas censé seulement soigner les bobos urgents, il a un rôle officiel de prévention. Ne doit-il pas, selon la loi, consacrer le tiers de son temps à visiter les ateliers, interroger les travailleurs, étudier les conditions de travail, faire des rapports annuels au CE et à l’inspection du travail, d’évaluation des conditions de travail et de leur impact sur la santé ? Mais ce tiers temps est presque partout une fiction. En réalité, les médecins du travail passent l’essentiel de leur temps à recevoir les retours d’arrêt maladie, ou à faire passer les tests d’embauche et d’aptitude. Jusqu’à jouer un rôle bien ambigu au sein de l’entreprise, par exemple en testant et triant les précaires qui, après de longues périodes de travail, tentent de décrocher une embauche.

Le suivi médical de chaque salarié, dans le cadre de l’entreprise, là où on pourrait le mieux rapporter ses problèmes de santé à ses conditions de travail, est donc pour le moins léger. Cela ne devrait pas s’améliorer : en décembre 2000, dans le cadre de la « refondation sociale », la CFDT, la CFTC, la CGC et les organisations patronales ont signé un accord qui invite à porter de 12 à 24 mois l’espacement des visites médicales pour les salariés « non soumis à des risques spécifiques ». Curieusement, le patronat semble davantage s’intéresser à l’âme qu’au corps de ses serviteurs : selon Askenazy, « en France, on estime à 4000 le nombre des psys qui officieraient au service des entreprises, non pour suggérer des améliorations des conditions de travail, mais pour apprendre aux salariés comment survivre au stress et à la pression, et garantir ainsi une plus grande productivité à l’employeur » !

Enfin, c’est son statut même qui rend ambigu le rôle du médecin du travail : il est salarié de l’entreprise, dépendant de son employeur donc. Il bénéficie certes, en gros, du même type de protections légales que les délégués syndicaux, mais chacun sait que cela peut être une faible garantie d’indépendance !

Le problème n’est pas si différent pour les CHS-CT , qui selon la loi ont d’amples missions de prévention, d’enquête, et également un droit d’alerte en cas de danger « grave et imminent », qui est maintenant partagé avec tous les salariés. Ces droits des salariés et de leurs représentants sont d’abord affaire des rapports de force avec le patron, et l’activité des élus du CHS-CT est singulièrement compliquée par la multiplication des contrats précaires et des sous-traitances.

Patrons en liberté

Vu la carence des moyens pour appliquer la loi, on comprend mieux que les patrons s’en donnent à cœur joie pour la violer. Ainsi, la sous-déclaration des accidents de travail est massive : elle est estimée à plus de 20 % en France. C’est le résultat de pressions constantes des employeurs pour dissuader les salariés de déclarer leur accident, quitte à les inciter à se mettre en maladie, par quelques sous ou menaces, surtout ceux qui aspirent à une embauche ou une promotion.

Bien sûr, ces pressions ont des avantages immédiats : cacher ce qui fait mal à l’extérieur comme à l’intérieur, éviter aussi d’avoir à payer un jour des réparations, voire au pénal, pour les éventuelles conséquences à long terme de l’accident... Mais pour comprendre pourquoi les patrons font si énergiquement la chasse non aux accidents de travail, mais à leur déclaration, il faut rappeler aussi que contrairement aux autres caisses de la sécurité sociale, la branche AT-MP n’est alimentée que par des cotisations dites « patronales ». Or le mode de tarification est complexe : un taux de cotisation est fixé par décret annuel pour chaque risque professionnel en fonction des statistiques financières nationales durant une période de trois ans. Les entreprises de plus de 200 salariés doivent payer l’intégralité des coûts supportés par la caisse à cause des accidents et maladies survenus dans l’entreprise dans les trois dernières années. En revanche, les entreprises de moins de 10 salariés payent des cotisations établies à partir des coûts pour la sécu de la profession, et donc indépendantes des évènements et des pratiques de l’établissement. Dans les entreprises « moyennes », le système est « mixte ».

Pour les grandes entreprises, la sous-déclaration permet de baisser considérablement ce qu’elles doivent à la sécu, et elles ont même vu là un autre charme de la sous-traitance : étant donné que pour le calcul de leurs cotisations, seuls comptent les salariés qui dépendent juridiquement de l’entreprise, les grandes entreprises sous-traitent leurs activités dangereuses... et donc leurs accidents et leurs maladies, à de petites structures, où en plus le réseau militant est plus faible, les travailleurs plus isolés et vulnérables [1]. De notoriété publique, cette sous-traitance des AT-MP a même un champion, de droit public : EDF, pour l’entretien de ses centrales nucléaires !

Bernard RUDELLI


[1A signaler que pour les entreprises de travail temporaire (pas pour les sous-traitants), un système particulier existe pour les accidents graves donnant lieu à versement d’une rente : l’entreprise de TT supporte les 2/3 de la charge, l’entreprise utilisatrice 1/3.

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