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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 85, janvier-février 2013

Argentine : Les vrais pillards, ce sont les capitalistes !

Mis en ligne le 28 janvier 2013 Convergences Monde

Le 20 novembre 2012 se déroulait la première grève générale depuis dix ans, c’est-à-dire depuis la grande crise économique de 2001 qui avait abouti à la chute et fuite du président Fernando de la Rua. Christina Kirchner, présidente actuelle qui a succédé à son mari, avait jusqu’alors bénéficié d’une relative popularité et du soutien de la CGT, principal syndicat, traditionnellement lié au pouvoir péroniste. L’inflation et la multiplication des mesures anti-sociales consécutives à la dégradation de la situation économique ont changé la situation. Au cours des deux dernières années, le mécontentement populaire s’est fortement amplifié.

Hugo Moyano, leader de la CGT, et pendant des années secrétaire du Parti Justicialiste (péroniste) de la région de Buenos Aires, s’est senti obligé de prendre ses distances vis-à-vis de Kirchner. Celle-ci a riposté en privant l’appareil syndical de diverses prébendes, notamment de la gestion de caisses de retraites. Il en a résulté le 12 juillet une scission de la CGT, essentiellement entre branches professionnelles, les appareils de chaque fédération suivant leur « patron ». Camionneurs et cheminots suivaient Moyano, tandis que les métallurgistes suivaient son rival Antonio Calo, désormais secrétaire de la nouvelle CGT « officielle ». Il est difficile d’évaluer le rapport de forces entre ces appareils, mais la journée de grève générale du 20 novembre à laquelle avait seules appelé la CGT de Moyano et une partie de la CTA (issue d’une précédente scission de gauche, et elle-même divisée) a été apparemment suivie. La région de Buenos Aires a été complètement paralysée.

Les revendications avancées portaient sur les salaires, rongés par une inflation de l’ordre de 30 % (et que le gouvernement n’entend pas revaloriser de plus de 20 %), mais aussi sur les allocations familiales, et sur un nouvel impôt sur le revenu qui frapperait désormais de nombreux travailleurs.

« Vous voudriez que les pauvres volent des boites de ron-ron » ?

Le 19 décembre, une manifestation organisée par les mêmes syndicats, à laquelle s’était jointe l’extrême gauche, rassemblait une centaine de milliers de personnes à Buenos Aires. Mais c’était plus que la suite de la journée de grève générale. Car le lendemain, explosait une révolte populaire qu’aucun leader syndical ou politique n’avait prévue. De premiers pillages de grandes surfaces éclataient à Bariloche, station de sports d’hiver chic des Andes, entourée d’une ceinture de quartiers misérables de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Ces pillages gagnaient comme une traînée de poudre l’ensemble du pays. Plus de 500 grands magasins subissaient les assauts de la population. La violence de la répression entraînait des émeutes et coûtait la vie à quatre personnes, dont une mère de famille qui avait payé le contenu de son caddie. Des dizaines d’autres étaient blessées et 700 arrêtées. À Bariloche, le gouvernement envoyait 400 gendarmes qui procédèrent à un ratissage brutal des quartiers pauvres, fouillant les maisons à la quête d’objets volés. Ces pillages devaient durer trois jours, et des attaques sporadiques de magasins continuer la semaine suivante.

Kirchner et les politiciens et médias à son service [1] se sont empressés de dénoncer un complot… des dirigeants syndicaux Moyano et Micheli (gauche de la CTA). De prétendus témoins ont affirmé avoir vu des syndicalistes équipés de camions et 4X4 organiser les pillages. Quant aux pillards, ce serait des délinquants manipulés. La « preuve » : une vidéo, diffusée en boucle, montrant des jeunes emportant des écrans plats. « Quand on a faim, on ne vole pas des TV », lançait cyniquement le vice-président Boudou… lui-même mis en examen pour détournements de fonds. Un syndicaliste a répondu avec ironie : « Vous auriez voulu qu’ils fauchent des paquets de chips et des boites de ron-ron ? ». Tandis que de leur côté les camarades du Parti des Travailleurs Socialistes (voir encart) précisaient : « Les vrais pillards, ce sont les capitalistes ! »

Une riposte à la misère

La vérité est que 80 % de la population argentine vit avec moins de 5,5 € par personne et par jour, 30 % avec moins de 1,90 €, et que plus d’un million de jeunes sont totalement désoeuvrés, sans travail ni éducation scolaire. Cela dans un pays où les prix sont très proches de ceux d’Europe. La colère touche aussi la petite bourgeoisie qui, un mois avant la grève générale, avait manifesté comme à son habitude par des concerts de casseroles.

C’est la première fois que le pouvoir péroniste affronte à la fois la petite bourgeoisie, une large part de la classe ouvrière et même des appareils syndicaux qui constituaient jusqu’alors ses relais efficaces. Reste à savoir si le mouvement ouvrier sera capable de donner des perspectives à ces révoltes. D’autres forces sociales guettent, comme l’opposition de droite à Kirchner. Mais qui sait si la situation ne pourrait pas faciliter l’apparition d’organisations combatives de travailleurs, d’autant que l’extrême gauche, notamment le Parti Ouvrier et le Parti des Travailleurs Socialistes (trotskystes), a montré qu’elle était présente dans cette montée des luttes.

10 janvier 2013, Georges RIVIERE


L’extrême gauche argentine

Le PTS (Parti des Travailleurs Socialistes), le PO (Parti Ouvrier) et l’IS (Gauche socialiste) se revendiquent du trotskysme et sont alliés au sein du FIT (Front de gauche et des travailleurs [2]). Ces partis militent au sein de la classe ouvrière, dans les syndicats CGT et CTA, dont ils combattent la bureaucratie. Ils sont présents dans d’assez nombreuses entreprises, notamment la métallurgie, les transports, le commerce, l’enseignement. Ruben Sobrero, dirigeant de la section CGT Sarmiento du « RER » de Buenos Aires appartient ainsi à IS, tandis que Mariano Ferreyra, jeune militant assassiné lors d’une manifestation de cheminots précaires, était membre du PO. Jorge Altamira, dirigeant du PO et candidat du FIT à la Présidentielle de 2011, a recueilli 2,31 % des suffrages. Le FIT a un élu au parlement de la province de Neuquen (en Patagonie) : Raul Godoy (PTS), ouvrier de la fabrique de céramique Zanon. Le FIT a recueilli 7 % des suffrages dans certaines régions, comme à Salta (Nord). Les divergences entre ces partis portent essentiellement sur des questions historiques liées aux divisions des courants trotskystes dont ils sont issus. Ils se retrouvent toutefois pour critiquer de façon intransigeante le régime de Kirchner (comme ceux de Morales en Bolivie ou Chavez au Venezuela, contrairement à divers courants tiers-mondistes). Le PTS, comme le PO, ont des sections dans plusieurs États d’Amérique latine, par exemple la LOR en Bolivie (liée au PTS) qui intervient notamment dans des entreprises et quartiers d’El Alto, cité ouvrière d’un million d’habitants qui domine La Paz. 


[1Il faut souligner à ce propos l’attitude du quotidien Pagina 12, jadis gauchisant mais aujourd’hui pro Kirchner qui a très largement soutenu la thèse du complot.

[2En espagnol, « Frente de Izquierda y de los Trabajadores ». En Argentine, les divers partis définis comme « extrême-gauche » en Europe sont traditionnellement désignés comme « de gauche ». Dans ce pays, il n’existe en effet pratiquement pas de partis de « gauche », dans le sens où on l’entend en Europe, le PS et le PC étant très faibles et l’espace étant occupé par la gauche nationaliste du Parti Justicialiste (péroniste).

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