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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 109, décembre 2016

Argentine : Face à la colère populaire, le pouvoir recule un peu et manœuvre

Mis en ligne le 8 décembre 2016 Convergences Monde

Le vendredi 18 novembre, ce sont des dizaines de milliers de manifestants qui ont envahi la place du Congrès, à Buenos Aires, pour exiger la mise en œuvre immédiate de la loi dite « d’urgence sociale ». Élaborée à la fin de la présidence de Cristina Kirchner, adoptée par le Sénat, cette loi avait été repoussée par le gouvernement avant même de passer devant le parlement [1]. À l’initiative de cette manifestation, de nombreuses organisations de chômeurs, de quartier et d’entreprises, comme Barrios de Pie (Quartiers debout) et le Corriente Clasista y Combativa (Courant classiste et combatif). Les grands syndicats comme la CGT s’y étaient ralliés mais n’avaient pas mobilisé.

Depuis l’élection en décembre 2015 de Mauricio Macri – une sorte de Thatcher… ou de Fillon argentin –, les attaques antisociales ont déferlé : suppressions de postes de fonctionnaires, coupes dans les budgets publics, menaces contre le droit de grève. En six mois, ce sont près de 150 000 emplois qui ont disparu et le taux de pauvreté s’élève officiellement à 32 %. Au point que, parmi les mesures revendiquées, il y a l’ouverture de mille soupes populaires pour faire face au plus pressé.

L’inflation a fait perdre, toujours officiellement, 12 % de leur pouvoir d’achat aux salariés, car elle dépasse 30 % et les salaires n’ont été revalorisés que d’environ 20 %. Et on annonce de prochaines hausses de gaz et d’électricité qui risquent de priver de chauffage et d’éclairage des milliers de familles. Macri avait d’ailleurs inauguré sa présidence par la suppression du contrôle des changes qui entraîna aussitôt l’effondrement du peso et la ruine de nombreuses petites entreprises artisanales. Pour essayer de détourner l’attention de l’opinion, il a tenté d’instrumentaliser la corruption du régime de la présidente précédente, Kirchner. Celle-ci, ainsi que plusieurs membres de sa famille et de son entourage, sont aujourd’hui poursuivis par la justice pour détournements de fonds. Mais l’opération a fait long feu et n’a pas empêché la colère de s’exprimer.

Vers une alternative de classe

Face à cette déferlante, le ministre du Travail a reçu les représentants des associations populaires et a accepté de décréter l’état d’urgence sociale pour trois ans, accompagné d’un investissement de 30 milliards de pesos d’ici 2019, soit l’équivalent de 1,8 milliard d’euros. Il a promis la revalorisation de diverses allocations et la création d’un salaire social complémentaire pour les travailleurs de l’économie populaire. Une nouvelle mouture du plan d’urgence sociale sera présentée au parlement, en accord avec les deux partis d’opposition péronistes [2]. Enfin les licenciements devraient être bloqués jusqu’en mars 2017, mais le vice-président de l’Union industrielle, Daniel Funes de Rioja, s’est empressé de déclarer qu’il ne pouvait rien garantir… Les représentants des associations ont pourtant semblé se contenter de ces promesses et signé un accord avec le gouvernement, abandonnant les revendications les plus importantes, en particulier la création d’un million d’emplois. Selon le quotidien La Nación du 24 novembre, « ce pacte a été considéré comme une victoire par la Casa Rosada (siège du pouvoir exécutif)  ». Le gouvernement s’est en effet vanté d’avoir obtenu la paix sociale. [3] Il est encore trop tôt pour savoir comment vont réagir les militants des associations et les travailleurs, mais on peut douter que cela calme leur colère.

Quant à la CGT [4], qui reste le plus grand syndicat argentin, comme sa rivale la CTA, ils n’ont pas cherché à organiser une riposte à la hauteur des attaques de Macri. Ils se sont bien gardés de mettre à profit le succès de la manifestation du 18 novembre pour faire complètement plier le gouvernement et se méfient d’un mouvement qu’ils ne contrôlent pas. La bureaucratie syndicale est depuis des décennies étroitement liée à l’État et aux appareils des partis péronistes. Les différentes cliques rivales, qui s’étaient divisées sous Kirchner, les unes soutenant la présidente, les autres ses concurrents, se sont provisoirement réconciliées, mais ce n’est pas pour mener une politique plus combative.

Les gouverneurs de province [5] péronistes ont d’ailleurs approuvé diverses mesures antisociales de Macri. Dans ce contexte, la tentative de certains mouvements péronistes, comme La Campora, dirigée par Maximo Kirchner, play-boy et fils de l’ex-présidente, lui-même impliqué dans les scandales, de prendre la tête de la contestation contre Macri a échoué. La capacité des politiciens péronistes à duper la classe ouvrière et les masses populaires et canaliser leurs luttes est nettement émoussée. Mais certains dirigeants des associations, liés pour certains à des courants péronistes de gauche, pourraient prendre le relais, comme le montre la facilité avec laquelle ils ont signé un accord avec le gouvernement.

Néanmoins, les perspectives d’une véritable alternative de classe au pouvoir ultra réactionnaire de Macri comme aux démagogues péronistes se renforcent. Une preuve parmi d’autres en est le succès remporté par le FIT [6]. Celui-ci a tenu le 19 novembre, dans un stade de Buenos Aires, un meeting qui a réuni plus de vingt mille personnes. Des représentants du FIT, dont des militants ouvriers qui ont joué un rôle dans les luttes récentes y ont pris la parole dans une ambiance enthousiaste. Ils ont notamment dénoncé clairement la politique des directions syndicales. C’est le plus grand rassemblement organisé par l’extrême gauche depuis des décennies en Argentine et il est porteur d’espoir.

25 novembre 2016, Georges RIVIERE


Barrios de Pie : caritatif, lutte et clientélisme

Barrios de Pie (Quartiers debout), créé en 2001, était au départ une organisation de chômeurs dont l’objectif était de revendiquer des emplois au niveau national en fédérant de nombreuses autres associations. Ce mouvement organise l’entraide des populations démunies sous différentes formes, elle a mis en place des soupes populaires, mène des actions éducatives, d’aide scolaire et de lutte contre les violences familiales. Sous la présidence de Nestor Kirchner (de 2003 à 2007) puis de son épouse Cristina Kirchner (jusqu’en 2015), Barrios de Pie a pratiqué une politique de soutien critique. De son côté, la présidence s’est efforcée d’instrumentaliser ce mouvement, comme beaucoup d’autres, par exemple Les mères de la place de Mai, selon une technique rodée avec succès par les péronistes pendant des décennies. Deux de ses dirigeants ont d’ailleurs été cooptés au sein du gouvernement à des postes purement symboliques au ministère du développement social et au Conseil des droits humains. Barrios de Pie a alors obtenu toutes sortes de subventions. La lune de miel avec les Kirchner s’est terminée avec la fin de la période de relative prospérité de l’Argentine et le virage vers une politique de libéralisme économique et d’austérité à partir de 2008-2010.

Avec l’élection de Mauricio Macri, Barrios de Pie s’est donc retrouvé dans une opposition radicale au nouveau pouvoir. Les derniers événements semblent montrer que ce mouvement est prêt à traiter avec lui, voire à retrouver les relations qu’il avait avec Kirchner.


La mobilisation des femmes, « Pas une de moins ! »

« Ni una menos ! » (Pas une de moins) est le slogan scandé par des milliers de femmes descendues dans la rue à l’appel de diverses organisations, dont le collectif du même nom, le 19 octobre après le viol et l’assassinat dans des conditions abominables de Lucia Pérez, une jeune fille de 16 ans, à Mar del Plata.

Depuis la chute de la junte militaire en 1983, une tradition de très forte mobilisation populaire contre les crimes à caractère politique, social et machiste rappelant ceux des tortionnaires de la dictature s’est perpétuée en Argentine. On se souvient encore du raz de marée provoqué par l’assassinat du journaliste Cabezas en 1997. En juin 2015, une manifestation contre les « féminicides » avait déjà rassemblé 200 000 personnes. En Argentine, une femme meurt toutes les 36 heures sous les coups d’un homme et 300 autres meurent chaque année des suites d’un avortement clandestin, car la législation considère toujours l’IVG comme un délit, sauf en cas de viol ou de danger. L’augmentation du chômage et de la misère engendrent la violence et contribuent à aggraver encore la situation des femmes. La mobilisation des femmes contre cette situation dépasse très largement les cercles féministes traditionnels et a pris un caractère nettement social en mettant en avant la revendication « à travail égal, salaire égal ». Nombreuses ont été les ouvrières, infirmières ou enseignantes, employées à quitter leur travail pour descendre dans la rue lors de la grève des femmes du 19 octobre. Au point que divers politiciens tentent de récupérer ce mouvement. « Les politiciens se font prendre en photo avec la pancarte Ni una menos, mais leur politique condamne des milliers de femmes aux pires travaux, à la misère et au chômage », a déclaré Myriam Bregman, députée du FIT, lors du meeting de Buenos Aires.


[1Le système argentin est bicaméral : une loi doit être approuvée par les deux chambres. Mais le président peut prononcer un véto, lequel ne peut être annulé que par une majorité des deux tiers dans les deux chambres. Macri avait dès le départ prononcé son véto, non seulement contre la loi d’urgence sociale mais contre une loi interdisant les licenciements.

[2Le parti justicialiste (péroniste) s’est divisé en deux au moment de la présidentielle : Le Frente para la victoria, a soutenu la candidature désignée par la présidente, alors que le Frente renovador dirigé par Sergio Massa, l’a lâchée.

[3« Décembre ne devrait pas être un mois de conflit », a déclaré Carolina Stanley, ministre du développement social. (La Nación – 24 novembre).

[4La CGT compte 2,5 millions de syndiqués et la CTA, née d’une scission de 1991, 1,4 million.

[5L’Argentine est un État fédéral.

[6Front de la gauche et des travailleurs, coalition de trois partis trotskistes. En Argentine, le terme « gauche » désigne l’extrême gauche par opposition au péronisme.

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