Allemagne : Lâcher son programme pour l’ombre dans le Linkspartei ?
Mis en ligne le 10 novembre 2005 Convergences Monde
Lors des dernières élections législatives du 18 septembre, le « Parti de gauche » (Linkspartei) [1] a fait un tabac. Ce cartel entre le PDS (issu de l’ancien parti au pouvoir en RDA) et l’« Alliance électorale pour le travail et la justice sociale » (WASG) dont le notable du SPD Oskar Lafontaine [2] a pris la tête, a obtenu 8,7 % des voix (certes 25,3 % à l’Est, contre 4,9 % à l’Ouest). Et 54 députés. Depuis des décennies, le SPD n’avait pas connu une telle contestation sur sa gauche et nul doute que sur le terrain électoral, 4,1 million d’électeurs ont sévèrement désavoué la politique menée pendant 7 ans par Schröder et ses alliés Verts, contre les travailleurs et les chômeurs.
Le mécontentement existe dans la classe ouvrière et s’est manifesté à plusieurs reprises, ces dernières années. Manifestation importante en novembre 2003 à Berlin, contre les mesures gouvernementales, alors que les directions syndicales n’avaient pas appelé. « Manifestations du lundi » à l’Est du pays à l’été-automne 2004, têtues. Par-delà des attitudes plus ou moins critiques à l’intérieur de la WASG, des organisations trotskystes voient dans le nouveau Parti l’émergence d’une « force de gauche » qui traduirait ce mécontentement exprimé dans la rue. Et les tout petits partis de l’extrême gauche allemande d’espérer devenir plus grands, en se glissant, plus ou moins discrètement, dans cette nouvelle peau. [3]
Mais ladite peau a le cuir bien tanné. Les notables qui dirigent la nouvelle formation, à commencer par Oskar Lafontaine qui l’a ralliée en dernière heure, après les premiers succès électoraux de celle-ci aux régionales de Rhénanie du Nord-Westphalie, sont des vieux routiers de la politique social-démocrate. Seulement préoccupés de ne pas essuyer davantage le discrédit de la politique de Schröder qu’ils ont longtemps endossée. L’opportunisme politique les a conduits à la dissidence. Les responsables trotskystes qui pourtant appellent à rallier ce Parti de gauche sont les premiers à reconnaître qu’il n’est pas anticapitaliste. Tout juste « antilibéral » !
Il est bien significatif que les initiateurs du Parti de gauche, à l’Est responsables du PDS, à l’Ouest notables du SPD ou figures de la bureaucratie syndicale (branches de la métallurgie et des services) qui constituent l’essentiel de la WASG, aient choisi d’apparaître sur le terrain électoral. Précisément celui-là et pas le terrain des entreprises et de la rue qui serait celui d’un parti de lutte des travailleurs. Lors des offensives récentes de tous les grands trusts comme Siemens, Daimler, Opel ou Volkswagen, contre l’emploi, les salaires et les conditions de travail, on n’a pas vu ces leaders offrir la moindre perspective de lutte aux travailleurs. On ne les a pas vus non plus offrir de suite aux manifestations citées plus haut.
Dans le cas du PDS de Gregor Gysi (60 000 adhérents déclarés), comme de la WASG d’Oskar Lafontaine (10 000 adhérents sur le papier), on a affaire à des formations qui parlent en général de justice sociale, mais ne veulent en aucun cas bousculer l’ordre social. Le PDS, du fait de son cantonnement à l’Est du pays et de ses 4 % nationaux qui lui interdisaient jusque-là d’espérer une vraie place au Bundestag et a fortiori dans un ministère, n’en siège pas moins dans l’exécutif des Länder de Berlin et Mecklembourg-Poméranie occidentale où il mène l’austérité contre les classes populaires (licenciements dans les services publics, baisse des salaires des employés des transports urbains, fermetures de piscines, etc.). Et si le nouveau parti, à ce jour, s’est refusé à tout compromis avec Schröder, quelques-uns de ses chefs évoquent pour le futur des responsabilités ministérielles, si de prochains succès électoraux les rendaient plus indispensables au SPD.
Mais qu’à cela ne tienne. Pour une certaine extrême gauche, il y aurait une possibilité de pousser la nouvelle organisation vers la gauche et éventuellement d’y recruter de nouveaux membres. Au prix de beaucoup de temps et de forces dépensés à des bagarres sourdes, car la hiérarchie du nouveau parti tolère mal les « trublions gauchistes » [4] ! Et au prix, surtout, du renoncement à sa propre politique. C’est dans cette voie que se sont engagés la plupart des groupes d’extrême gauche, à l’exception du RSB qui affirme : « À partir du Parti de gauche, il serait actuellement absolument impossible de défendre publiquement la nécessité d’un salaire horaire au minimum légal de 10€, d’un revenu mensuel minimum de 1 500 euros brut, de l’interdiction des licenciements, de l’expropriation des entreprises qui font des profits tout en détruisant des emplois, de la semaine de 30 heures sans perte de salaire avec embauches correspondantes et contrôle des conditions de travail, de réduction du temps jusqu’à ce que chacun(e) ait un emploi, d’ouverture des livres de compte, d’expropriation des 756 000 millionnaires en dollars, et de droits égaux pour tous et pour toutes. Pour qui veut défendre publiquement une politique révolutionnaire, ce n’est possible qu’en dehors de ce parti. » [5]
L’extrême gauche allemande, faible et peu connue des travailleurs, n’est forte que de l’héritage d’idées et de luttes du mouvement ouvrier et de son programme socialiste révolutionnaire. En abandonnant celui-ci, elle n’est plus rien.
2 novembre 2005
Pauline BAUM
[1] Le Parti de gauche n’est encore qu’une simple coalition électorale, qui devrait se constituer en parti à l’avenir
[2] Ministre président de la Sarre dans les années 80, chef du SPD dans les années 1990, ministre des finances de Schröder en 1998...
[3] C’est le cas du SAV (Sozialistische Alternative Voran) lié au courant « Militant » de Grande-Bretagne), Linksruck lié au courant du SWP britannique, et l’ISL (Ligue socialiste internationale), l’une des 2 fractions de la IVe Internationale en Allemagne. L’autre, le RSB (Ligue socialiste révolutionnaire) a décidé de ne pas engager ses militants dans le Linkspartei. Voir leurs positions respectives dans Inprecor de juillet-août 2005 (ISL) et septembre 2005 (RSB).
[4] D’ici la fin 2006, elle espère s’en débarrasser en les obligeant à abandonner toute « double appartenance ». De la sorte, elle vise aussi le DKP (ex-tout petit parti stalinien d’Allemagne de l’Ouest qui a eu des candidats sur les listes du Linkspartei).
[5] « Opposition extraparlementaire ou Parti de gauche ? », article de B.B.Herbst dans Inprecor N°509, septembre 2005.
Mots-clés : Allemagne