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Algérie : la révolte peut-elle triompher ?

22 juin 2001

La manifestation du jeudi 14 juin à Alger a indiqué combien la révolte est en pleine extension. Combien aussi le pouvoir est décidé à réprimer violemment sans rien entendre des revendications exprimées. Sa seule réponse a été l’interdiction de toute manifestation à Alger.

Depuis l’explosion le 22 avril, la révolte a gagné dans toute la société algérienne. De son point de départ en Kabylie, elle s’est étendue aux Aurès puis à d’autres régions d’Algérie, à Annaba, Batna, Biskra, Batna, Tebessa ou Constantine. De révolte de la seule jeunesse, elle devient aussi celle des adultes et commence à toucher la classe ouvrière.

D’ores et déjà cette explosion spontanée de la jeunesse est parvenue à fissurer le carcan imposé par la dictature depuis la guerre civile et qui centrait toute la vie politique sur l’affrontement entre islamistes et armée. Elle est parvenue aussi à éviter le piège dans lequel le pouvoir aurait bien aimé l’enfermer : l’isolement dans les seules revendications identitaires berbères. En mettant en avant des revendications sociales (emploi, logement, pauvreté), avec le slogan « il y en a marre de la misère », ou contre le « pouvoir assassin », les jeunes de Kabylie ont touché toute la population algérienne, elle aussi durement frappée par l’atroce misère et les exactions du pouvoir.

Jusqu’ici les jeunes de Kabylie n’ont pas plié devant la répression qui a fait plus de cent morts et des milliers de blessés. Ils n’ont pas pliés non plus devant les faux amis politiques qui les poussaient à se calmer, les partis jusque là influents en Kabylie qui semblent avoir beaucoup perdu de leur crédit dans la jeunesse. Par la force de leur mouvement, ils ont entraîné les structures traditionnelles locales qui voulaient d’abord prendre le relais de ces partis politiques pour canaliser et limiter la colère. Ils ont ainsi entraîné les adultes et par la coordination des comités locaux donné une structure au mouvement.

Pourtant si le mouvement de révolte a déjoué déjà bien des pièges, le pouvoir comme les faux amis lui en réservent sans doute encore bien d’autres. Et d’abord le risque de l’isolement d’une jeunesse révoltée qui serait coupée du reste de la population. Ce n’est pas pour rien que les autorités s’efforcent de présenter les jeunes comme des casseurs, alors que chacun a pu constater que c’est le pouvoir militaire qui casse toute la société. Mais la fraction la plus radicale de la jeunesse, si elle se sentait isolée et découragée, pourrait être poussée vers des solutions d’extrême-droite, islamistes ou régionalistes, comme cela s’est produit après l’échec de la révolte de 1988. Et le régime militaire pourrait se poser en défenseur de l’intégrité nationale, contre des maquis kabyles par exemple, comme il a passé ces dix dernières années à se poser en défenseur de la république contre les terroristes islamistes.

Gare aux faux amis

L’autre risque est que les réformistes du type social-démocrate ou de type libéral, présentent une fausse alternative politique permettant de restaurer la façade du régime sans rien changer du fond de la dictature politique et sociale. C’est la « solution » représentée principalement par le leader du FFS, Aït Ahmed. Il l’a encore une fois mise en avant dans un mémorandum adressé aux généraux qui gouvernent le pays. Il leur propose une « sortie de crise » qui peut avoir l’oreille de la classe dirigeante et de l’impérialisme : une réforme politique qui permettrait d’éviter que soit remise en cause le pouvoir de la couche bourgeoise qui, depuis l’indépendance, a détourné toutes les richesses du pays pour le plus grand profit de l’impérialisme, et d’abord de la France.

Pour cela, il propose de retirer du devant de la scène les chefs militaires détestés mais sans s’attaquer à l’institution. Pas question non plus de remettre en question les fortunes constituées par les cliques autour de ces chefs militaires et qui forment l’essentiel de la bourgeoisie algérienne. Pour le peuple, il n’y aurait pas d’autre changement que constitutionnels. Rien sur la situation sociale. Rien sur les libertés réelles de la population, sur son droit de remettre en cause la misère et le partage des richesses. Rien ne dit d’ailleurs qu’une telle « transition », comme le FFS l’appelle, ne serait pas autre chose qu’un recul calculé de la dictature militaire avant un nouveau bain de sang, exactement comme cela s’est produit en 1989-90 avec la soi-disant transition démocratique qui n’a fait qu’ouvrir la période de la guerre civile avec deux cent mille morts. Le pouvoir assassin n’est pas réformable ! Il faut le renverser ! Les défenseurs du pacifisme et des « étapes réalistes » ne peuvent mener le peuple algérien qu’à de nouvelles désillusions porteuses de nouveaux massacres.

La révolution sociale

L’ampleur de la révolte ouvre quand même une autre perspective, même si les obstacles semblent bien nombreux et énormes sur cette voie. Elle consisterait d’abord à l’extension de la lutte à la population pauvre et la classe ouvrière de toute l’Algérie. Les travailleurs étaient il y a peu en lutte contre les privatisations et les licenciements dans le secteur pétrolier ou encore dans la sidérurgie, à Alfasid. Ils sont toujours menacés de nouveaux licenciements massifs, connaissent la misère et les salaires bloqués. Ils ne restent d’ailleurs pas à l’écart de la révolte actuelle même si les grandes unités industrielles de l’Algérie n’ont pas encore bougé : à Béjaia où une entreprise textile s’est jointe aux manifestations ; à Dira au sud d’Alger qui s’est embrasée après l’annonce d’un plan de licenciements ; dans les quartiers populaires de grandes villes, Annaba par exemple, également en lutte pour des revendications sociales comme celle du manque d’eau ; à Bouira et Kenchela où la population occupe les logements vides...

Un mouvement de la classe ouvrière, une grève générale insurrectionnelle, qui couperait le robinet des profits, en coupant à l’impérialisme ceux du gaz et du pétrole, prendrait le régime à la gorge. Et surtout une classe ouvrière liée aux jeunes chômeurs de tout le pays, à tous les quartiers populaires pourrait préparer un autre avenir qu’un simple replâtrage de la dictature : un véritable changement social, débarrassant le pays des profiteurs et corrompus de tous poils et permettant une véritable démocratie, celle du pouvoir des comités du peuple travailleur. Car il ne doit pas être question de renverser une dictature pour en trouver une autre !

Robert PARIS

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