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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 73, janvier-février 2011 > Tunisie, Algérie

Tunisie, Algérie

Algérie : Pour que la révolte porte enfin ses fruits

Mis en ligne le 29 janvier 2011 Convergences Monde

Le 18 janvier, à la Bourse du travail d’Alger, le secrétaire général du syndicat officiel, l’UGTA, réunissait quelque 1 000 syndicalistes de la région. Il les appelait à maintenir un « climat sain et serein dans le milieu professionnel » et les mettait en garde « contre tout dérapage » , car, ajoutait-il, « quelles que soient les difficultés et les problèmes auxquels nous sommes confrontés, aucune personne n’a le droit de perturber le pays ».

Et Sidi Saïd de dénoncer les médias étrangers qui dénigrent l’Algérie ainsi que « la mondialisation dangereuse » qui est « une tentative de recolonisation sous une autre forme, notamment celle de pousser le peuple à l’émeute sous le beau slogan de la démocratie. Il est immoral d’appeler à la révolte ».

La révolte, qui semble l’inquiéter autant qu’elle inquiète Bouteflika, avait déjà explosé deux semaines plus tôt, les 4 et 5 janvier à Oran et Alger avant de s’étendre pendant plusieurs jours dans tout le pays. Sans aucun appel. Encouragée seulement par la révolte de la jeunesse tunisienne.

La goutte d’eau

C’est probablement une nouvelle hausse brutale des prix des produits de première nécessité : des augmentations de 20 % pour l’huile, 80 % pour le sucre en quelques semaines, les portant respectivement à 180 dinars le litre, 140 dinars le kg, soit en gros 1,4 € et 1,8 €, pratiquement les mêmes prix qu’ici, alors que le Smic algérien est à 15 000 dinars soit 150 €. Il en est de même pour la farine, la semoule, la viande, les légumes et fruits. La répression des forces de l’ordre qui a fait 3 morts, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations au cours de ces cinq à six jours d’émeutes, a encore attisé la colère, sans intimider pour autant les manifestants. Plus de 1 300 personnes arrêtées lors des évènements sont maintenant passées en justice dans des procès expéditifs. Mais le mécontentement social et le sentiment d’injustice est profond, que ne pourront enrayer ni les incarcérations, ni les vagues promesses que vient de faire le gouvernement de faire baisser les prix (en commençant par baisser les taxes aux grossistes dans l’espoir qu’ils veuillent bien le répercuter, comme ici la baisse de la TVA sur les restaurants !), ni les appels au calme ou les ridicules dénonciations de la main de l’étranger.

Les mille raisons de la colère

La nouvelle flambée des prix n’a été que la goutte de trop. Il ne se passe pas une semaine en Algérie sans que, ici ou là, on assiste à un rassemblement devant une sous-préfecture ou une mairie, un blocage de carrefour ou de route nationale pour des raisons aussi multiples qu’une coupure de courant, le manque d’eau ou les critères totalement occultes, voire la corruption claire et nette, dans la distribution des logements sociaux.

L’un des Algériens qui a tenté ces derniers jours de s’immoler, à l’exemple du jeune chômeur, le 12 janvier à Bordj Menaiel (70 km à l’est d’Alger), était un employé territorial, père de six enfants, désespéré de se voir refuser une nouvelle fois un logement. Heureusement il n’y a pas que le désespoir. Mardi 28 décembre, une semaine avant les émeutes généralisées qui ont marqué l’actualité, des centaines de jeunes bloquaient une grande route et affrontaient les forces de l’ordre à Baraki, une des banlieues pauvres d’Alger, pour réclamer les logements décents qu’on leur promet depuis des années. Une émeute « ordinaire » en quelque sorte. Elle avait été précédée la veille par des protestations semblables dans d’autres quartiers pauvres, à Laquiba, et à Rouiba dans la zone des « chalets », ces baraquements provisoires installés pour reloger les victimes du séisme de 2003 qui sont encore là sept ans après, totalement délabrés. À la mi-décembre un rassemblement d’habitants de la ville de Yellel (dans l’ouest du pays) devant le siège de la « daïra » (équivalent de nos sous-préfectures) réclamait l’affichage public des attributions de logements. Fin novembre, dans la petite ville de Tagzout (près de Bouira à 120 km au sud-est d’Alger), les enseignants des collèges, les instituteurs et les conducteurs de bus se mettaient en grève pour soutenir deux pères de famille en grève de la faim pour avoir été exclus de la liste des relogements. Pour citer quelques exemples récents.

Et partout le problème essentiel, le chômage : officiellement de 10 %, il touche en réalité 60 % de la population active de moins de 30 ans. Sans parler des femmes qui sont pratiquement absentes des statistiques, puisque seul un million d’entre elles, sur une population de 35 millions, sont comptabilisées dans la « population active ».

Manne pétrolière et creusement des inégalités

Les années 1991-2000 de la guerre entre armée et groupes islamistes, par la pression qu’elle exerçait sur l’ensemble le la population, la terreur qu’elle faisait régner, sans oublier les militants syndicaux assassinés (dont bien malin celui qui pouvait dire si c’était par des islamistes ou par l’armée), ont facilité bien des attaques contre les travailleurs, notamment le démantèlement d’une bonne partie des entreprises d’État, confiées ensuite au privé avec des fournées de licenciements à la clé.

Quant aux recettes engrangées par l’État algérien grâce au cours élevé du pétrole au cours des années 2000, elles n’ont rien apporté à la population pauvre. Elles ont bénéficié à une petite minorité d’affairistes de la haute société algérienne et surtout aux banques occidentales auxquelles l’État algérien à reversé quelque 40 milliards de dollars (sans parler des intérêts versés annuellement) pour réduire sa dette et « gagner la confiance » d’investisseurs qu’il cherchait à attirer dans le pays. La politique de grands travaux de ces dernières années ou la construction de quelques grands hôtels pour hommes d’affaires, ce n’était pas pour les plus démunis. Pas plus que le programme de construction de logements confié à des entreprises chinoises amenant leurs ouvriers encore moins payés qu’un ouvrier algérien. Il ne s’agissait pour l’essentiel pas de logements sociaux, mais de logements mis en location-vente, avec des aides de l’État, pour cibler la petite bourgeoisie du pays. Cette petite bourgeoisie qui a pu aussi bénéficier en partie des multiples aides à la création d’entreprises accordées par le gouvernement. Soit dit en passant, bien des cadres islamistes, qui se sont recyclés sous les auspices de la réconciliation nationale décidée par Bouteflika, ont profité de cette manne pour se faire une place au soleil.

Quoi d’étonnant que lors des journées d’émeutes de ce début janvier, les jeunes ne s’en soient pas seulement pris à ce qui à leurs yeux représente l’État, sous-préfectures, gendarmeries, bâtiments publics ou cabines téléphoniques, mais aussi aux vitrines rutilantes d’une agence Renault ou d’un marchand de téléviseurs Samsung à écrans plats.

La contestation ouvrière

Il y a un an, presque jour pour jour, le 12 janvier 2010, le secrétaire général de l’UGTA déclarait déjà que les travailleurs « doivent intégrer la sagesse et la civilité dans leur action ». Il s’agissait de prêcher la reprise du travail aux deux plus gros centres industriels du pays. Les 7 000 ouvriers du complexe sidérurgique d’El Hadjar, près d’Anaba, ancienne entreprise publique devenue en 2001 propriété du groupe Arcelor-Mital, était en grève contre la menace de fermeture d’un des ateliers, la cockerie, et le licenciement de 350 salariés. Sourds aux appels à la sagesse, ils ont eu gain de cause. Simultanément, l’usine automobile de Rouiba (dans la banlieue d’Alger), une entreprise toujours publique de 5 000 travailleurs, qui produit bus et camions, était en grève contre l’accord salarial « tripartite » que venaient de passer patronat, gouvernent et UGTA, portant le salaire minimum de 12 000 dinars à sa valeur actuelle de 15 000 dinars. Cette augmentation paraissait dérisoire aux ouvriers au regard de la hausse du coût de la vie. Que dire aujourd’hui après les hausses vertigineuses de prix de l’année ! Les ouvriers de la SNVI avaient entraîné avec eux quelque 5 000 autres travailleurs des entreprises voisines de la zone industrielle de Rouiba.

Toute l’année 2010 a été ponctuée en Algérie de grèves dans de nombreux secteurs, enseignants, forestiers, ouvriers d’une cimenterie Lafarge, cheminots…, animées par des militants locaux de l’UGTA passant outre les appels au calme ou propositions de médiation de la direction nationale, ou dans le milieu enseignant par des militants des syndicats autonomes plus indépendants du gouvernement. Jusqu’au déclenchement en ce début janvier, au moment même des émeutes, d’une grève de plusieurs centaines de dockers d’Alger contre des suppressions de postes, cette fois en butte aussi à l’accord passé entre la direction et des responsables syndicaux locaux.

Elle est bien là la force qui pourrait donner des perspectives à la jeunesse en révolte : unifier toutes les luttes éparses sur les logements, les conditions de vie, le mépris des autorités et la corruption. Si des travailleurs prenaient le chemin de la révolte et rendaient leurs luttes aussi rapidement contagieuses que l’ont été les émeutes de la jeunesse. Car octobre 1988 est encore dans les mémoires, rappelant comment un mouvement, celui qui a fini par avoir la peau du régime de Chadli, peut être escamoté par quelques politiciens démocrates, avant de tourner au cauchemar lorsque des démagogues réactionnaires et religieux apparaissent finalement comme les seuls opposants radicaux, faute de militants proposant une politique de classe aux opprimés.

23 janvier 2011

O.B.

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