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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 35, septembre-octobre 2004 > DOSSIER : Défendre les services publics ? Pourquoi ? Comment (...)

DOSSIER : Défendre les services publics ? Pourquoi ? Comment ?

AGCS, miroir aux alouettes

Mis en ligne le 30 septembre 2004 Convergences Politique

Après l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement), l’AGCS (Accord général sur le commerce et les services) ! Pour la quasi-totalité de la gauche et de l’extrême gauche ce nouvel « accord catastrophe » prépare la liquidation, à l’échelle mondiale, de la majeure partie des services publics. Cette crainte s’est largement diffusée au point par exemple qu’il était rare, dans un mouvement comme celui du printemps 2003 en France, de voir se tenir une AG de grévistes sans que tel ou tel brandisse le spectre de l’AGCS et veuille faire de son abrogation l’objectif ultime du mouvement.

Un complot libéral ?

Sous des dehors très « internationalistes », il ne s’agit que d’une nouvelle illustration de l’acharnement de la gauche réformiste à imputer chaque attaque contre le monde du travail à telle ou telle instance supranationale opaque, incontrôlable et toute puissante. Ce qui a le triple avantage, ou plutôt inconvénient de notre point de vue, d’attirer les travailleurs sur le terrain chauvin de la « souveraineté nationale », de dédouaner en partie le gouvernement et le patronat local et, last but not least, de justifier par avance les renoncements et trahisons de la gauche au pouvoir.

Ainsi à l’OMC, la Banque mondiale ou autre FMI, des commissions occultes, peuplées de fanatiques, et soutenues par les firmes multinationales, trameraient dans le dos des peuples (et même dans le dos des parlements nationaux !) des projet visant à soumettre tous les aspects de la vie des sociétés à un vaste marché fonctionnant conformément aux idéaux du libéralisme : libre concurrence, absence de monopoles et d’intervention de l’Etat, etc. Ayant quasiment achevé le démantèlement des barrières douanières dans le cadre du GATT, ces « ultralibéraux » s’aperçurent qu’un grand nombre de services devant être fournis au contact direct de l’utilisateur ne pouvaient faire l’objet d’un commerce transfrontalier, si libre soit-il. Ils entreprirent donc de favoriser l’implantation directe d’entreprises désireuses de fournir leurs services sur place. Et pour que celles-ci ne se heurtent pas à des monopoles publics (de l’électricité, de l’eau, de l’acheminement postal...), à des entreprises publiques subventionnées ou à des services gratuits (école, santé), ils élaborèrent, en jetant les bases de l’OMC, à partir de 1994, un accord imposant à tous les Etats la privatisation et la mise en concurrence de tous les services publics, hormis la police, la défense, la justice, le fisc et la Banque centrale : l’AGCS.

Un combat donquichottesque

Cette analyse, qui sous tend l’abondante littérature anti-AGCS, ne résiste guère à l’examen des faits. En quoi les dispositions de l’AGCS vont-elles plus loin que les mesures de privatisation, de sous-traitance de services publics à des entreprises privées et d’ouverture à la concurrence initiées depuis belle lurette par les Etats nationaux eux-mêmes ?

L’AGCS n’impose aux Etats que de fournir une « liste d’engagements », désignant les secteurs qu’ils sont prêts à ouvrir. Celle fournie pas la Commission européenne en février 2003 exclut d’ailleurs l’eau, l’éducation, la santé et l’audiovisuel. Un quatre-page d’Attac présente cela comme « une incontestable victoire pour la mobilisation contre l’AGCS, qui s’amplifie aujourd’hui en Europe ». En fait, n’en déplaise à Attac, cette décision de la Commission illustre uniquement le pragmatisme des patrons européens et des politiciens qui les représentent. Privatiser, libéraliser, oui, mais à leur rythme, au gré de leurs intérêts, en défendant leurs prébendes et à condition d’accroître leurs parts de marché et leurs profits !

L’AGCS, loin d’être le fer de lance de l’offensive contre les services publics, apparaît même bien en retrait sur ce que les différents Etats nationaux ont déjà programmé et réalisé, soit dans le cadre de leurs frontières, soit dans le cadre de l’Union européenne. Car il va de soi que l’exclusion de l’eau ou de l’audiovisuel des champs de l’AGCS en Europe ne protège en rien ces domaines de l’appétit des trusts... européens. Dans le cas de la France, il faut vraiment avoir chaussé des verres déformants pour imputer la responsabilité de la casse des services publics à des institutions supranationales alors que ce pays est l’un des pionniers des politiques de « délégation de services publics » (eau, ordures ménagères, etc.) aux entreprises privées, ce qui lui a permis de faire émerger les leaders mondiaux du secteur (Bouygues, Vivendi, Suez) !

Quant aux pays en voie de développement, il y a déjà vingt ans que les grandes puissances leur ont imposé, via les institutions comme le FMI et ses programmes d’ajustement structurel, la vente aux multinationales des quelques secteurs rentables contrôlés par les Etats. Tantôt c’est la crise de la dette qui a permis d’obliger des gouvernements à « vendre la vaisselle pour acheter à manger » ; tantôt il n’y même pas eu besoin de forcer la main à qui que ce soit, tant les gouvernements locaux étaient dévoués corps et âme à l’impérialisme. Dans le pire des cas, ce sont les armes qui ont départagé les groupes rivaux : en Afrique centrale, les guerre civiles se sont soldées par des braderies d’entreprises publiques. Les kalachnikovs de Sassou Nguesso ou de Kabila ont ouvert la voie aux multinationales plus efficacement que les bureaucrates en costume trois pièces de l’OMC.

Néo-libéralisme ou néo-parasitisme ?

Le mouvement général de privatisation touche la planète depuis une vingtaine d’années. Les entreprises sont parvenues, depuis les années 80, à rétablir leurs profits, grâce à une exploitation accrue du monde du travail. Mais la demande progresse au ralenti et les entreprises ne peuvent guère réinvestir leurs profits abondants dans la création de nouvelles capacités de production. C’est pourquoi elles préfèrent, d’une part se racheter les unes les autres (les vagues de « fusions-acquisitions ») et d’autre part racheter ou prendre en main des services publics. Faute de pouvoir créer du neuf, les entreprises se rabattent sur ce qui existe et essayent de le parasiter. L’appétit des grandes entreprises pour les services publics est avant tout le symptôme d’une certaine stagnation.

D’autant qu’il n’y a pas grand-chose de libéral là-dedans : aux monopoles publics se substituent de quasi-monopoles privés, de véritables cartels comme ceux formés, en France, par les opérateurs de téléphonie fixe et mobile. La libre concurrence nationale et internationale sur le marché des services n’est pas pour demain : Vivendi, Bouygues, Suez, Lagardère ou encore Pinault y veillent. Si l’ancêtre de l’AGCS, l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) est purement et simplement tombé aux oubliettes, c’est bien parce que les multinationales (qui demeurent très nationales par leurs directions, leurs subventions, leurs liens avec l’Etat, leurs marchés publics, etc.) ne veulent pas entendre parler d’une véritable liberté d’investir incluant l’égalité de traitement des entreprises étrangères. En France, Auchan, Carrefour-Promodès, Leclerc et Pinault-Printemps ne prospèrent-ils pas depuis des décennies à l’ombre d’une loi qui interdit purement et simplement l’implantation de concurrents étrangers ?

Il ne faut pas chercher en d’insaisissables libéraux basés à Genève ou Washington les inspirateurs des privatisations et des attaques contre les services publics : dans chaque pays, c’est d’abord le patronat local qui en est l’artisan. Contre le démantèlement des services publics on peut certes aller manifester, d’un bout à l’autre de la planète, à l’occasion des sommets de l’OMC. Ne serait-il souvent bien plus juste d’aller porter la contestation... à La Défense !

Julien FORGEAT

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