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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 35, septembre-octobre 2004 > DOSSIER : Défendre les services publics ? Pourquoi ? Comment (...)

A ne pas confondre : nationalisations et services publics...

30 septembre 2004 Convergences Politique

Au moment où, du côté du gouvernement comme du patronat, l’heure est à l’offensive générale contre les services publics, la place des militants communistes révolutionnaires se situe clairement dans le camp de ceux, travailleurs comme usagers, qui tentent d’y résister, qu’il s’agisse de défendre des emplois, des statuts ou un accès aussi égal que possible à ces services.

Mais il n’est nul besoin pour cela d’idéaliser ce que sont - ou ce qu’ont été - ces « services publics », encore moins les raisons qui ont présidé à leur développement. Car en ce domaine plus encore qu’en bien d’autres, la prétendue défense de l’intérêt général sert de couverture idéologique à la sollicitude de l’État envers la bourgeoisie nationale.

L’Etat, malgré lui...

Historiquement d’ailleurs, ce que l’on a l’habitude en France de regrouper sous le vocable de « services publics » (communications, transports en commun, éducation, santé, accès à l’énergie...) n’est que l’héritage, parfois lointain, de l’interventionnisme de l’État en faveur du développement d’un capitalisme national.

Ainsi l’organisation du service des postes fut le fait de l’Etat monarchique lui-même, dès le début du XVIIe siècle. De même d’ailleurs celle du réseau routier avec l’institution, dans la première moitié du XVIIIe, d’un corps d’ingénieurs d’État en charge des Ponts et Chaussées. Et déjà alors, cette organisation du territoire national pour les besoins politiques de l’État ne négligeait pas les intérêts privés (par exemple grâce à la Ferme générale des postes [1]). L’Etat issu de la Révolution française devait évidemment suivre la même voie. Ainsi avec la télégraphie, dans la seconde moitié du XIXe siècle, il conjuguait réglementation et attribution de concessions à des intérêts privés, avant la nationalisation en 1889. Ou encore avec le développement des chemins de fer laissés à des compagnies privées mais largement aidées et subventionnées, jusqu’à la constitution de la SNCF en 1937 - l’État reprenant alors à sa charge, dans un contexte de quasi-faillite des concessionnaires privés, la gestion d’un secteur vital pour l’activité économique nationale.

Certes ce qui fut bon pour le développement du capitalisme fut bon souvent aussi pour la société toute entière. Ou pour dire les choses autrement : même si l’Etat a développé tel ou tel service d’abord et avant tout dans l’intérêt des capitalistes, les retombées ont été bénéfiques pour la population. Ainsi, par exemple, la généralisation de l’instruction publique, faite pour répondre au besoin des industriels en main d’œuvre alphabétisée ou de l’armée en conscrits sachant lire, a incontestablement abouti à instruire la France entière, ouvrière et paysanne. Simple constatation que le capitalisme et l’Etat bourgeois, malgré les côtés sombres et barbares de l’exploitation, ont bien eu un aspect progressiste pour la société toute entière. Au moins un temps, car interventions de l’Etat et nationalisations semblent de plus en plus avoir pour seule raison d’être les intérêts des capitalistes... et de moins en moins de retombées positives pour la population toute entière.

Des nationalisations de De Gaulle...

Ainsi de la grande vague de nationalisations de l’après seconde guerre mondiale, appuyée tant par la droite que la gauche. L’Etat n’est plus alors seulement la béquille d’un capitalisme défaillant, mais sa charpente !

L’appareil productif est alors sinistré. Relancer l’économie exige de remettre sur pied les infrastructures (énergie, transports...) et pour cela des investissements massifs, centralisés, sans espoir de profits immédiats. L’Etat se substitue au capital privé dans l’intérêt de celui-ci et nationalise les charbonnages, l’électricité et le gaz en 1946, la RATP et Air France en 1948. Le gouvernement de De Gaulle a aussi nationalisé les principales banques et les assurances. En prenant le contrôle du crédit l’Etat se donne ainsi les moyens de stimuler l’investissement par des prêts avantageux pour les entreprises, et de contrôler et orienter sa répartition dans l’espoir de sortir les affaires du marasme.

Mais il y a aussi les nationalisations politiques. Alors qu’on demande aux travailleurs de faire de nouveaux sacrifices, il faut avoir l’air d’être aussi dur pour les patrons... ou du moins quelques boucs émissaires parmi eux. La bourgeoisie, avec le soutien du PC et de la CGT, achète alors la paix sociale, d’une part en développant la Sécurité sociale, d’autre part en « punissant » quelques capitalistes qui passent (ou qu’on fait passer) pour avoir usé plus que d’autres de l’occupation pour s’enrichir et écraser leurs salariés. Dès septembre 1944 les Houillères du Pas-de-Calais sont nationalisées à la hâte, puis en janvier 1945 les usines de Louis Renault, qui meurt en prison.

... à celles de Mitterrand

En 1981 la gauche revenue au pouvoir lance une nouvelle vague de nationalisations. Pour rompre avec le capitalisme ? Donner au gouvernement les moyens de sauter par-dessus le « mur de l’argent » ? Apporter une réponse « de gauche » à la crise ?

En fait le patronat crie à la spoliation mais c’est lui qui profite de l’opération. Le capitalisme français connaît alors quelques déboires : faible profitabilité des entreprises, industries de base non rentables et menacées par les mutations de l’économie mondiale (sidérurgie, chimie), difficulté à développer les secteurs d’avenir et de haute technologie (aéronautique, électronique, pharmacie). Mitterrand radicalise... la politique de Giscard, qui avait dépensé sans compter dans l’énergie et mis la sidérurgie sous perfusion des finances publiques. La loi de nationalisation de février 1982 organise le rachat de 5 grands groupes industriels, 39 banques, 2 compagnies financières.

Ce transfert massif du privé au public (20 % du chiffre d’affaires, 16 % des effectifs de l’industrie !) fait dire au Figaro que « la France est entrée en socialisme  ». C’est en fait un gigantesque transfert des fonds publics dans des caisses privées : les pauvres patrons spoliés reçoivent 47 milliards de francs d’indemnités, en échange d’entreprises globalement déficitaires (9 milliards de pertes annuelles), de l’argent frais qu’ils vont enfin pouvoir investir dans des affaires plus alléchantes. Ernest-Antoine Seillière, alors jeune gestionnaire des héritiers de la dynastie de Wendel, abandonne à l’Etat le boulet de ses actifs dans la sidérurgie et investit son nouveau cash dans l’informatique (Cap Gemini), l’équipement automobile (Valeo), la pharmacie (BioMérieux). Merci la gauche ! Et vive l’assistanat !

L’Etat comble les trous et « modernise ». Il licencie (20 000 ouvriers dans la sidérurgie...) et investit massivement dans le secteur nationalisé, 42 milliards de francs de 1981 à 1984 pour renflouer les vieux trusts et développer les secteurs de pointe. Quant au secteur bancaire nationalisé, placé lui aussi sous perfusion d’argent public, il relance le financement des entreprises privées dans le besoin.

La droite, revenue au gouvernement en 1986, peut donc reprivatiser des entreprises redevenues rentables : sidérurgie, électronique, chimie, l’eau, la télé, les télécoms et le transport aérien... Ah non, ces deux derniers secteurs seront privatisés par la gauche ! Car depuis 1986 la droite et la gauche, qui ont également alternées au gouvernement, ont autant privatisé l’une que l’autre. Comme quoi nationalisations comme privatisations obéissent à des raisons qui n’ont rien, mais rien à voir avec les prétendues idéologies de nos politiciens.

Ce n’est certes pas parce que des nationalisations ont été effectuées sous l’égide d’un Etat au service de la bourgeoisie que l’on doit être indifférent à leur privatisation ! Ne serait-ce que parce qu’il est choquant qu’après avoir investi des sommes considérables d’argent public dans ces secteurs, l’Etat les offre ensuite à bas prix au capital privé. Ne serait-ce encore que les exigences du service public, éducation, santé, énergie, transports, sont tout de même le plus souvent un peu mieux remplies par des entreprises publiques que par celles qui ne connaissent que la rentabilité immédiate et le portefeuille des gens solvables.

Ce n’est pas non plus une raison pour ne pas voir qu’étatisation comme nationalisation sont loin de rimer automatiquement avec service public.

Bernard RUDELLI et Gérard WEGAN


[1Dans ce système, instauré en 1672, le fermier, riche bourgeois en général, encaissait les taxes postales, dont le barème reste fixé par l’État, en échange du versement d’une somme forfaitaire au Trésor royal.

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