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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 73, janvier-février 2011

À lire

Mis en ligne le 29 janvier 2011 Convergences Culture

ROMANS



Leonardo Padura

  • L’homme qui aimait les chiens 671 pages, 24 €.

Tous les romans de Padura sont publiés par les éditions Métailié.


L’auteur cubain Leonardo Padura est connu pour ses romans policiers qui ont notamment le mérite de nous faire découvrir la société cubaine, au-delà des clichés. Cette fois, il s’est attaqué à une œuvre beaucoup plus ambitieuse : retranscrire les destins parallèles de Trotsky et de son assassin Ramón Mercader, depuis l’exil forcé de Trotsky à Alma Ata et son expulsion vers la Turquie en 1928, à la mort de Mercader à Cuba en 1978. Padura prend pour fil conducteur un narrateur, personnage imaginaire qui aurait rencontré Mercader à Cuba et recueilli ses confidences.

La partie consacrée à Trotsky est certes fouillée, mais elle apprendra peu de choses à ceux qui ont lu les différentes biographies, en particulier celle d’Isaac Deutscher à laquelle Padura fait à deux reprises référence. Le romancier cubain s’en est visiblement inspiré dans la mesure où il s’efforce de pénétrer avec plus ou moins de succès dans les pensées intimes de Trotsky. Il lui prête d’ailleurs parfois des réflexions qui entrent plus ou moins en contradiction avec les positions qu’il a défendues tout au long de sa vie, par exemple sur le drame de Kronstadt. La partie dédiée à Mercader est plus originale dans la mesure où l’itinéraire de ce jeune militant communiste espagnol qui accepta ce rôle de tueur par fidélité au stalinisme est assez peu connue. Padura, qui ne se présente pas comme historien, semble avoir pris quelques libertés avec les faits : ainsi, il imagine Mercader suivant une formation d’espion-tueur à la James Bond en URSS, alors que, du moins d’après le témoignage de son frère Luis, Mercader n’y avait jamais mis les pieds avant de sortir de la prison mexicaine où il fut enfermé vingt ans. Souffrant du climat (dans tous les sens du terme) qui régnait en URSS, en dépit des honneurs et menus privilèges dont ses patrons le gratifièrent à sa libération, il partit quelques années plus tard pour Cuba. Selon Padura, il aurait même compté parmi les conseillers de Castro, ce qui reste difficile à vérifier.

En dépit d’une interprétation parfois hasardeuse des faits historiques et de simplifications souvent abusives des positions qu’il prête à Trotsky, ce gros roman ne manque pas de souffle et nous fait vivre toute une période de combats et de destins tragiques dans le contexte des défaites successives du mouvement ouvrier et d’isolement de la poignée de révolutionnaires trotskystes restés fidèles à l’idéal bolchevik. Néanmoins Padura n’est pas ici aussi à l’aise, vivant et truculent que dans ses meilleurs polars, tels Electre à la Havane, Passé parfait ou Les brumes du passé…

Georges RIVIERE


Une BD et les livres du même auteur sur la classe ouvrière américaine



Studs Terkel

  • Working – une adaptation graphique.

223 pages, 22 euros.

  • Working

2006, 496 pages, 22 euros.

  • Hard Times – Histoires orales de la Grande Dépression

2009, 640 pages, 27 euros.

  • « La Bonne Guerre » – Histoires orales de la Seconde Guerre mondiale

2006, 384 pages, 19 euros.

Ces quatre livres ont été publiés par les Editions Amsterdam.


Animateur d’une émission de radio – le maccarthisme l’avait chassé de la télévision – quotidienne très populaire de Chicago, Studs Terkel était l’un des rares à tendre son micro vers les simples salariés, les chômeurs, les victimes de la ségrégation raciale. Bref, tous ceux auxquels plus récemment l’historien Howard Zinn a consacré son Histoire Populaire des États-Unis. Ces entretiens nourrissaient au départ les émissions de l’auteur. Il finit par en faire des livres.

Initialement, Working est composé de 70 récits de salariés américains exerçant les métiers les plus divers, de l’acteur à la serveuse en passant par l’ouvrier agricole ou la prostituée. Terkel s’efface et laisse ses interlocuteurs raconter leur travail, sa difficulté, ce qu’il leur apporte et combien il les fait souffrir. Une sélection de 27 de ces témoignages a été adaptée en BD par une vingtaine de dessinateurs et scénaristes, dont une bonne partie sont connus outre-atlantique pour leur engagement contestataire. Chacun à sa façon illustre de façon vivante une réalité aux antipodes du « rêve américain », faite d’exploitation, d’humiliation, et parfois de révolte. Ceux que Working – une adaptation graphique laissera sur leur faim peuvent se tourner vers l’original. Ils trouveront aussi dans Hard Times, et La Bonne Guerre, un contre-point intéressant à l’histoire américaine officielle des années 30 et 40.

Mathieu PARANT

ESSAIS

Une lecture sans effets secondaires :



Irène Frachon

  • Mediator, 150 mg

Editions-dialogues.fr, Collection Nouvelles ouvertures, 3 juin 2010, 152 pages, 15,90 €.


Le laboratoire Servier ayant obtenu du tribunal qu’une première version du livre Médiator. Combien de morts ? soit censurée, c’est avec le sous-titre moins accrocheur que l’on peut se procurer Médiator. 150 mg, petit thriller médical qui nous plonge dans les arcanes des autorités de contrôle des médicaments, des conflits d’intérêts et du lobbying de l’industrie pharmaceutique.

Ce livre clair et concis raconte le combat d’Irène Frachon, pneumologue de Brest, qui se bat depuis 1997 pour faire retirer du marché le benfluorex, principe actif du Médiator, prescrit officiellement comme adjuvant pour l’obésité chez les diabétiques, et officieusement comme coupe-faim pour tous ceux qui souhaitent perdre quelques kilos. Mise sur le marché en 1976, la molécule serait à l’origine de 500 à 2 000 morts. Au fil des pages, d’autopsies en études de cas cliniques, on suit la lente découverte de la toxicité de la molécule, dérivée des amphétamines, qui provoque une déformation grave des valves du cœur. En menant son enquête, Irène Frachon finit par comprendre que le benflluorex est la seule molécule de sa classe pharmacologique à ne pas avoir été interdite par les autorités de santé. Et qu’elle doit sa longue carrière d’empoisonneuse impunie à l’habileté et à la ténacité du laboratoire Servier. En manipulant l’information scientifique, les équipes du labo ont réussi pendant des années à faire oublier qu’il s’agissait non pas d’un anti-diabétique mais d’un anorexigène qui, une fois ingéré, produisait un métabolite actif, la norfenfluramine – bien connue pour ses effets toxiques à l‘origine du retrait du marché de nombreuses molécules, dont l’Isoméride, ancêtre du Médiator, commercialisé aussi par Servier.

Le livre se lit facilement et donne un aperçu des liens tenaces entre l’État, chargé du contrôle du médicament, et les laboratoires pharmaceutiques qui façonnent l’opinion médicale par le biais de leaders scientifiques sous leur influence. On s’étonne tout autant de l’horreur quotidienne qu’ils impliquent que du courage et de la naïveté de celle qui les dévoile avec quelques soutiens rencontrés en chemin, face à une bureaucratie inféodée de longue date aux puissants industriels du médicament.

Lucas BRUGHEL



Marc Roche

  • La Banque

Editions Albin Michel, 2010, 320 pages, 19,50 €.


L’intérêt du livre de Marc Roche, correspondant au journal Le Monde, est de montrer l’interpénétration étroite et constante des milieux dirigeants de Goldman Sachs, la plus grande banque du monde, et des gouvernements ou des principales institutions politiques — et leur connivence pour faire payer la crise aux salariés. Ainsi Henri Paulson, ancien président de Goldman Sachs, est-il devenu le secrétaire au Trésor de George W. Bush ; l’actuel secrétaire au Trésor d’Obama a embauché un lobbyiste de la banque comme directeur de cabinet. L’homme de gauche, Romano Prodi, a travaillé deux fois pendant plusieurs années pour Goldman Sachs et Tito Mbowni, ancien ministre du Travail de Nelson Mandela, avait effectué un stage chez Goldman Sachs. Bref, le livre de Marc Roche illustre de façon convaincante que les États sont bien les « conseils d’administration de la bourgeoisie », comme l’affirmait Marx.

Charles BOSCO

HISTOIRE



André Loez

  • 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins

Paris, coll. Folio histoire, 2010, 690 pages, 12,50 €.


Les révolutionnaires n’ont pas attendu ce livre pour analyser les mutineries de 1917 comme la « grève aux armées » à laquelle les paroles de l’Internationale exhortaient les travailleurs bien avant 1914.

Parmi la production universitaire en revanche, il prend à contrepied le point de vue dominant, la « théorie du consentement ». Les adeptes de celle-ci estiment que les peuples d’Europe sont montés au front de leur plein gré et non contraints. Ils voient dans les mutineries une expression, non du refus de la guerre, mais de la façon dont elle est menée, de son inefficacité et en fin de compte, une réaffirmation... du patriotisme des soldats !

Loez ne se contente pas de leur opposer une autre lecture de l’année 1917. En prenant en compte la censure, en utilisant les lettres et les carnets de simples poilus (et non les professions de foi d’écrivains patriotards), l’auteur dessine un tout autre tableau : celui, dès août 1914, de combattants tout sauf résignés à se faire massacrer, rusant pour éviter les coups sans enfreindre trop ouvertement les règles militaires, car la gendarmerie veille. L’année 1917 s’ouvre sur des paroxysmes de boucherie que les soldats supportent d’autant moins qu’on les leur a présentés comme le dernier effort avant la victoire. Alors se forme un « halo » d’indiscipline. La fermentation sociale provoque en quelques semaines des mouvements de révolte pas si spontanés que ça, mais manquant terriblement de cohésion.

André Loez restitue très bien en particulier la difficulté que représente pour les soldats la rupture de la discipline. Son analyse emprunte une partie de ses concepts à la sociologie, non pour se noyer dans le monde des idées, mais pour se rapprocher au plus près des milliers d’anonymes qui risquèrent leur peau en désobéissant, avec l’espoir d’en finir ainsi d’une façon ou d’une autre avec la guerre. Adapté d’une thèse, ce livre est accessible non seulement aux spécialistes ou aux amateurs d’histoire, mais aussi au grand public.

M.P.

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