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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 68, mars-avril 2010

À lire

Mis en ligne le 11 avril 2010 Convergences Culture

Investigation

Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours.

Le vrai visage du capitalisme français

sous la direction de Benoît Collombat et David Servenay.

La Découverte, Paris, 2009, 717 pages, 25 euros.

« Revisiter, loin des images d’Épinal et des conceptualisations rassurantes, le vrai visage du capitalisme français », tel est le but de cet ouvrage. 86 articles excédant rarement 10 pages, à lire dans l’ordre qu’on veut, traitent aussi bien des figures de l’ombre (l’ex-cégétiste et ex-vichyste Georges Albertini, conseiller occulte de toujours) ou connues (comment Marcel Dassault a construit un empire de la construction aéronautique grâce au soutien de l’État) du patronat, que de ses organisations (l’UIMM et ses caisses noires), ses rapports avec l’État et les hommes politiques de droite comme de gauche, ou encore ses réactions face aux coups de colère de la classe ouvrière.

Les auteurs, journalistes d’investigation qui ont fait leurs armes en enquêtant sur la Françafrique, n’ont pas la prétention d’écrire un manuel d’histoire. Ils étrillent au passage certains universitaires un peu trop sensibles aux légendes fabriquées par les patrons pour raconter leur propre histoire – comme dit une historienne spécialiste des entreprises sous l’occupation, « le patronat résistant n’existe pas  » – ou à leurs carnets de chèque, et exposent comment le patronat verrouille ses archives. De fait, l’Histoire secrète offre peu de révélations fracassantes. Elle apporte plutôt la confirmation rigoureuse à des histoires qu’on se souvient d’avoir lues ou entendues sans être tout à fait sûr. Par exemple qu’au total une centaine d’ouvriers marocains travaillant en France et syndiqués à la CGT ou la CFDT ont été arrêtés et torturés lors de vacances au pays, victimes de la collaboration entre la dictature d’Hassan II et leur employeur.

Mathieu PARANT


Matérialisme militant... et irrévérencieux

Didier Foucault

Histoire du libertinage

En format poche, Éditions Perrin - février 2010, 10,45 €.

Il est certes méritoire, en ces temps de retour en force de la religion, d’aller ressourcer ses repères militants et idéologiques dans les textes de Lénine, Marx ou Engels. Ce dernier, quant à lui, conseillait de « traduire et répandre parmi les masses la littérature française du XVIIIe siècle athée et démystifiante ».

Eh bien, pour ce qui est de la littérature athée et démystifiante, on pourrait même remonter beaucoup plus loin que le XVIIIe siècle : à la fin de ce Moyen Age, décidément pas si obscurantiste que cela. C’est le grand mérite de ce livre écrit en 2007, sous-titré « Des goliards au marquis de Sade », et qui vient d’être réédité en livre de poche, de détailler toute la vivacité et l’ampleur de ce courant contestataire et « d’esprits forts » qui, dès les XIIe et XIIIe siècles, transgressait les interdits moraux ou idéologiques du christianisme, et prônait l’athéisme. Les libertini, au sens propre « esclaves affranchis » en latin, étaient ces « clercs » surnommés goliards qui s’affranchissaient de la règle de l’ordre monastique en refusant toute contrainte sociale et religieuse, à l’origine de toute une littérature populaire athée, blasphématoire et gaillarde répandue dans les tavernes : « un authentique matérialisme populaire dans l’underground de la civilisation chrétienne dominante », comme dit l’auteur. À la Renaissance, François Rabelais, Étienne Dolet et bien d’autres puiseront aux mêmes sources d’inspiration. Les termes « athée », « athéiste » et « athéisme » deviennent d’usage courant et les mécréants proclament « ni Rome ni Genève » et dénoncent les « trois impostures des trois prétendus prophètes des grands monothéismes : Moïse, Jésus et Mahomet (…) la religion étant un leurre commode pour entraîner les peuples crédules derrière eux ». Suivront bien d’autres philosophes libertins, tel Giordano Bruno (brûlé à Rome en 1600), ou encore Giulio Cesare Vanini (brûlé à Toulouse en 1619), auquel Didier Foucault a également consacré un ouvrage [1]. Au XVIIe siècle, les idées libertines s’exprimèrent essentiellement dans certains milieux de la noblesse ayant les moyens d’échapper à la répression. L’auteur passe plus rapidement sur l’histoire mieux connue des libertins au XVIIIe siècle, relayés par les « philosophes ». Ce livre érudit, au style universitaire, est néanmoins absolument passionnant et réjouissant. À mettre entre toutes les mains impies.

Huguette CHEVIREAU


Un roman

Amara Lakhous

Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio

Actes Sud (2007 - 18 €)

Qui a assassiné Lorenzo Manfredini, alias le Gladiateur, retrouvé mort dans un ascenseur ? Pourquoi l’Iranien Parviz Mansoor Samadi décide-t-il soudain de se coudre les lèvres ? Qu’est devenu Amedeo, ce jeune homme au passé énigmatique, fin connaisseur de l’Italie dont personne n’a plus de nouvelles ? Ce récit captivant, qui tient à la fois du roman policier et de la comédie italienne, raconte la vie des habitants d’un immeuble de la Piazza Vittorio à Rome. Benedetta Esposito, la concierge napolitaine, bigote, xénophobe et raciste, veille jalousement sur l’ascenseur qui fait l’objet d’une guerre picrocholine entre elle et les locataires. À travers le destin des différents protagonistes que le lecteur suit entre le rire et les larmes, l’auteur, d’origine algérienne et vivant à Rome, dénonce, avec un humour souvent noir, beaucoup de sensibilité et de chaleur humaine, le triste sort réservé aux travailleurs immigrés en Italie, méprisés, humiliés, exploités et rejetés par certains autochtones quand ils ne sont pas harcelés et traqués par la police de Berlusconi. Ce livre est surtout une arme, qu’on aimerait de destruction massive, contre les préjugés imbéciles et les racistes de tout poil. Des scores électoraux viennent encore de montrer qu’ils sont nombreux.

D’une brûlante actualité et pas seulement en Italie !

Charles BOSCO


Une BD

Jason Lutes

Berlin, Ville de fumée. Livre deuxième.

Éditions Delcourt, septembre 2009, 214 pages, 18 euros

Il aura fallu attendre huit ans pour avoir le plaisir de lire la suite de Berlin, la cité des pierres, Livre premier. On retrouve une partie de la galerie de personnages qui incarnaient dans ce premier tome les multiples facettes du Berlin de la fin des années 1920 : entre autres le journaliste partisan de la nouvelle démocratie Kurt Severing, ou Silvia, gamine dont les parents communistes ont été tués par la police de Weimar le 1er mai 1929 et qu’a recueillie le mendiant juif Pavel. On suit aussi les tribulations de nouveaux venus, tels ces musiciens noirs américains jouant du jazz dans les cabarets. L’automne 1929 passe vite, et 1930 s’ouvre sur la crise venue des États-Unis. Les affrontements entre nazis et communistes redoublent et, tandis que la misère frappe les quartiers ouvriers, on sent ici et là, dans la petite bourgeoisie, monter l’exaspération et la tentation du fascisme.

Le style de Lutes, une ligne claire tout en contraste noir et blanc, ne déroutera pas les amateurs de bandes dessinées classiques. L’auteur compose une fresque restituant de façon très vivante l’atmosphère de Berlin en crise. Un prolongement intéressant à la lecture, par exemple, du Fascisme et grand capital de Daniel Guérin.

M.P.


[1Un philosophe libertin dans l’Europe moderne, Giulio Cesare Vanini (1585-1619).

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