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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 107, septembre-octobre 2016

28 juin 2016 : Incendie dans le couloir de la chimie lyonnaise

À Bluestar Silicones, le travail tue

Mis en ligne le 5 octobre 2016 Convergences Entreprises

Le 28 juin dernier, alors que de nombreux salariés se trouvaient dans la rue manifestant contre la loi Travail, un drame se déroulait dans l’usine de Bluestar Silicones dans le couloir de la chimie à Lyon. L’immense colonne de fumée qui s’élevait du site annonçait une issue dramatique. Le bilan fut lourd : un mort et un blessé.

Retour sur les circonstances de cet accident.

Bluestar Silicones

L’usine se situe à Saint-Fons, au sud de l’agglomération lyonnaise. Elle compte 600 salariés dont 200 en recherche et développement et se divise en 7 ateliers de production. On y produit du silicone sous différentes formes, utilisé dans divers types d’industrie (cosmétique, textile, aéronautique, électroménager, etc.). Bluestar Silicones appartient à ChemChina, 16e entreprise mondiale de la chimie et société de l’État chinois. Avant le rachat en 2008, l’usine faisait partie de Rhodia (ex-Rhône-Poulenc). Présentée comme une branche « non rentable », elle a été vendue au mieux offrant. Le chiffre d’affaires était d’environ 550 millions d’euros en 2015.

Un environnement dangereux banalisé…

L’usine Bluestar Silicones de Saint-Fons date des années 1970 (c’était alors Rhône-Poulenc) et, depuis, quasiment rien n’a bougé. Des investissements ont été faits dans les quelques secteurs de production les plus rentables mais rien n’a changé autour. Ni les ateliers, ni les bureaux n’ont été rénovés. Les conditions de travail sont très difficiles. Les installations sont vétustes et tombent très régulièrement en panne.

Faire tourner les machines au maximum et les réparer à la va-vite : voilà la recette parfaite pour générer des accidents. Les salariés vivent avec. Ils y sont habitués : c’est leur quotidien. Les risques sont banalisés. L’exposition à la silice et aux solvants, permanente, est considérée comme normale. Cet état d’esprit est construit depuis des années par la direction, qui s’emploie à ne réagir face à aucun accident. Par exemple, lorsqu’un nuage de silice s’était échappé d’un atelier un an plus tôt, il n’y avait eu aucun confinement dans l’usine alors que le site voisin de Solvay avait mis en œuvre cette procédure.

Extrait du bulletin l’Étincelle du 9 septembre 2015

Il faut que tu respires !

Chez Bluestar, il y a des miracles. Chez Bluestar il neige en plein été ! Cela est presque passé inaperçu. Pas une sirène, pas de confinement... enfin presque. Car à Solvay toutes les précautions et règles de sécurité ont été appliquées. En ces temps de vigilance partagée, nous pouvons remercier l’entreprise d’à côté de nous avoir avertis qu’il y avait un danger.

Oui, la silice est dangereuse. La respirer est nocif. Ne nous laissons pas entraîner dans une banalisation des risques que nous prenons tous les jours. Utilisons nos poumons pour crier notre colère, plutôt que pour respirer ce poison.

600 m2 partent en fumée : un mort

Le 28 juin dernier, 600 m2 de bâtiments partent en fumée à Bluestar Silicones. L’étincelle s’est déclenchée dans un entrepôt de stockage. Un cariste, sous-traitant de l’entreprise GT, y opérait une manipulation habituelle : déposer un fût avec son Fenwick. Seulement, en manipulant les fûts, l’un d’entre eux s’est percé. Un produit inflammable s’est alors déversé. Le cariste a donc déplacé le fût à l’extérieur du bâtiment sur un bac de rétention, laissant au passage une traînée de liquide. Lorsque les fourches du chariot ont touché le sol, une étincelle s’est produite, mettant le feu à la traînée de liquide.

Dans ce genre d’entrepôts contenant des quantités de produits inflammables, les caristes sont censés disposer de chariots Atex, c’est à dire dont les pales sont recouvertes d’un matériau ne pouvant générer d’étincelle, pour éviter tout risque. Seulement voilà : il n’y en avait pas. Un chariot Atex, c’est environ 5 000 € de plus qu’un chariot classique. Manifestement pour la direction de l’usine, ça ne vaut pas une vie, celle que ce jeune cariste de 28 ans a perdue ce jour-là.

Extrait du bulletin l’Étincelle paru le lendemain de l’accident

Hier, notre collègue n’est pas rentré chez lui.

Nous sommes choqués, nous sommes tristes. Nous sommes aussi en colère.

Le collègue n’était pas parti gravir une montagne. Il s’était levé comme tous les jours et s’était rendu au travail.

Un peu de son travail a servi à payer une Ferrari à un dirigeant. Et ce travail l’a tué.

Voilà pourquoi les postures courroucées de ce même dirigeant, pestant contre le pas de chance et la négligence, ne devront pas nous émouvoir.

Tant que la seule raison d’être de notre travail sera l’accroissement des profits de quelques-uns, ils seront responsables de nos blessures. Ils devront être la cible de notre colère.

Germinal

Dans les heures qui ont suivi l’accident, il y avait de quoi se demander si réellement ce travailleur était décédé. Car la seule préoccupation de la direction, c’était de redémarrer au plus vite la production. Elle a mis tous les travailleurs, encore sous le choc, sur le pont. Branle-bas de combat : dès que les scellés mis par la police ont pu être déplacés, on s’employait à tout faire redémarrer ! Le seul obstacle à la reprise de la production, c’était la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) qui demandait une mise aux normes des installations. Durant la semaine qui a suivi l’accident, tous les travailleurs de l’usine se sont donc employés à bricoler les installations pour que ça passe… se rendant compte alors que rien n’était conforme à la législation.

Le mot d’ordre impulsé par la direction : produire au plus vite ! Dans tout cela on en aurait presque oublié la victime de ces conditions de travail dignes de Germinal. Histoire de faire bonne figure, la direction a tout de même fait mine d’organiser une minute de silence… dont même certains chefs d’ateliers n’avaient pas entendu parler, et qui a été faite à la va-vite. Histoire de dire que la course aux profits ne rend pas si inhumains ? À d’autres.

Des pompiers volontaires face au brasier

Ce qu’ont vécu les salariés de l’usine durant la journée du 28 juin fut terrible. Lors du déclenchement de l’alerte incendie la sirène n’a pas arrêté de sonner, empêchant la diffusion de tout message. Une fois la sirène neutralisée, le mot d’ordre était de ne pas quitter le poste de travail. Certains salariés, dont les bureaux n’étaient pas loin du feu, ont senti le rayonnement de l’incendie. Les pompiers auxiliaires [1] ont été appelés pour intervenir en premier. Ils ont dû faire face à un hangar en feu avec du matériel défaillant. Les surpresseurs permettant de donner de la puissance aux lances incendie n’ont pas démarré du premier coup. Les minutes ont paru des heures pour ces ouvriers mis devant un brasier. Le renfort de pompiers professionnels a permis de les soulager. Cependant, ce sont ces mêmes pompiers auxiliaires qui ont dû entrer dans le hangar pour aider à chercher le corps.

Se confiner… sans salle de confinement

Entretemps, le reste des salariés a eu ordre de se confiner. Le seul problème est que tous les bâtiments n’ont pas de salle de confinement. De nombreux travailleurs se sont retrouvés dans les rues de l’usine à chercher un endroit où se mettre à l’abri. Les sous-traitants ont été complètement oubliés. Ils ont dû sortir en courant de l’usine pour éviter le nuage, ne sachant où aller.

Le fiasco total. Le confinement n’a pas duré très longtemps et les salariés ont été priés de reprendre le travail rapidement. Alors que le feu n’était pas encore complètement éteint.

Le bilan de cette journée du 28 juin est lourd : une personne décédée et de très nombreuses complètement choquées.

Trois mois plus tard… rien n’a changé !

Cela fait trois mois que ce jeune cariste est décédé. On pourrait croire à une amélioration des conditions de sécurité sur le site suite à ce drame. Pas du tout. Durant tout l’été, les équipes ont tourné à effectif réduit, aucun investissement n’a été fait, pas même dans des chariots ATEX ! Les conditions qui ont engendré la mort d’un travailleur sont aujourd’hui encore réunies, ce qui fait parfois lâcher ce genre de phrases dans l’usine : « le prochain mort il est dans notre atelier de toute façon ».

L’amiante

Sans compter que depuis l’accident, les travailleurs sont exposés à un nouveau risque : l’amiante. En effet, le toit de l’atelier qui a explosé ce jour-là était en fibrociment. Des mesures de présence de fibre d’amiante ont été réalisées dans un bâtiment voisin, dépassant de loin le seuil autorisé. Le bâtiment en question a donc été fermé... et la direction a cru bon de ne pas prendre de mesures dans les autres ateliers, cela va sans dire. Le risque sanitaire est énorme, et les salariés y sont quotidiennement exposés.

Dans ces conditions, comment continuer d’aller au travail sachant qu’on risque d’en mourir, que ce soit d’un accident ou d’une exposition à des produits toxiques. La direction s’emploie tellement et depuis de si longues années à banaliser les risques, qu’elle a instauré un tabou sur ces sujets.

L’arme de la direction : l’individualisation des responsabilités

Elle s’est aussi dotée d’une autre arme depuis l’accident : l’individualisation des responsabilités liées aux risques. Par exemple, elle a récemment licencié un intérimaire car celui-ci, ne possédant pas de badge pour entrer dans l’usine, est passé derrière un collègue à la badgeuse. La direction lui reproche donc de ne pas avoir respecté une règle de sécurité, alors que c’est elle qui est responsable de l’existence des risques, en faisant tourner l’usine dans ces conditions de vétusté. En faisant la chasse aux sous-traitants, et jusqu’aux cadres qui ne respecteraient pas des mesures de sécurité, elle essaie de convaincre les travailleurs que c’est chaque individu, sur le site, qui serait responsable de la sécurité.

La politique de banalisation des risques au travail est tellement aboutie à Bluestar Silicones que la direction arrive pour l’instant à se tirer de cette situation sans être trop inquiétée. Cette stratégie qui vise à rendre le travailleur responsable de sa propre sécurité est générale dans l’industrie de la chimie.

Seulement parfois, c’est l’accident de trop. Comme à l’usine Solvay de Dombasle, où les salariés ont fait grève pendant deux jours, de façon unanime à la production, suite à un accident qui a fait un grand brûlé. Parce que mourir au travail n’est pas une option envisageable.

21 septembre 2016, Lou SERVAGENT et Annick HAUSSMANN


[1Les pompiers auxiliaires sont des salariés de l’usine qui ont reçu une formation leur permettant d’effectuer les premiers actes d’urgence lors d’un départ d’incendie en attendant l’arrivée des pompiers professionnels.

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Numéro 107, septembre-octobre 2016

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