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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 1, janvier-février 1999 > DOSSIER : Loi Aubry, le piège

DOSSIER : Loi Aubry, le piège

1982-1998 : La législation sur la durée du travail mise à bas

Mis en ligne le 1er février 1999 Convergences Société

Le patronat a des objectifs à long terme fixés dès 1972. Il veut obtenir une souplesse dans l’utilisation de la force de travail. Dans les années 70 elle passe par : le recours aux heures supplémentaires, et le recours aux contrats à durée déterminée, au travail temporaire, au temps partiel en s’appuyant sur la volonté des femmes de travailler. Les patrons ont ainsi expérimenté sur elles une flexibilité qu’ils cherchent aujourd’hui à étendre à toute la classe ouvrière.

Restaient en place les normes élaborées depuis un siècle : la durée du travail décomptée sur la semaine, la définition collective du temps de travail et le rôle central de la loi dans la définition des règles. Pour imposer aux travailleurs une totale adaptation aux besoins de production sans stocks, au juste à temps ...il fallait changer tout cela.

Une bataille idéologique s’est engagée, portée par les patrons, les gouvernements successifs, les sociologues et statisticiens aux ordres. Son but, retirer toute légitimité à une idée pourtant simple : plus l’horaire est régulier, plus il est collectif, plus il est possible d’organiser sa vie en dehors du travail, et plus les travailleurs sont forts pour défendre cette durée du travail. On a eu droit à tous les arguments : les besoins des entreprises dans le cadre de la réhabilitation du profit, la compétition des entreprises françaises au plan international, les possibilités pour les patrons « d’éviter les licenciements », la diversification des horaires pour répondre aux aspirations des travailleurs. Le dernier en date étant que la flexibilité est la contrepartie à une réduction du temps de travail, elle-même nécessaire pour donner du travail aux chômeurs. C’est la spécialité des gouvernements de gauche de donner des miettes aux travailleurs, alors qu’en réalité l’essentiel est donné aux patrons.

La bataille idéologique ne suffisant pas, il fallait faire sauter les blocages légaux. De 1982 à la Loi Aubry, il y a eu sur tous les points un retournement complet, assumé par la droite et la gauche.

Fini le calcul hebdomadaire du temps de travail.

La semaine offre un cadre au salarié qui permet d’organiser sa vie. Elle interdit au patron de moduler le travail en fonction des commandes, des saisons, et limite la durée d’ouverture des ateliers.

L’ordonnance de 1982, celle des 39h, ouvre toutes les brèches dans lesquelles les modifications ultérieures s’engouffreront.

Elle inaugure l’annualisation de la référence du temps de travail en décomptant les heures supplémentaires sur l’année et prévoit déjà la possibilité de recourir à la modulation des horaires de travail sur l’année par accord d’entreprise, en proposant une subvention pour celles qui diminueraient le temps de travail.

Les conditions de modulations, un peu rigides sont assouplies en 1987 par la Loi Seguin, puis par la Loi quinquennale de 1993 qui offre des formules encore plus souples d’annualisation du temps de travail.

Il n’y a plus grand chose à bouger : la structure hebdomadaire du travail est débordée. La référence des négociations d’entreprise devient l’année. Il fallait pour négocier que les patrons et les syndicats s’y mettent. Cela n’allait pas assez vite. Même avec la Loi De Robien. Le nombre d’entreprises engageant de telles procédures était limité. La Loi Aubry oblige à négocier avec date limite et incitation financière considérable. La volonté est claire. Le cadre légal existait, la loi oblige à l’utiliser.

Diminution du nombre de salariés travaillant en horaire collectif.

La règle était la fixation collective des horaires de travail dans des cadres légaux. Cela réduisait un peu l’arbitraire patronal.

C’est en 1982 que l’ordonnance introduit la possibilité de mettre en place « sur demande du personnel » des horaires individuels flexibles. Petite garantie : le CE a le droit de veto, il l’exerce rarement.

C’est surtout par le temps partiel que l’individualisation concerne de plus en plus de travailleurs. Sur ce terrain, depuis 1982, tous les gouvernants ont eu la même politique d’incitation financière pour les patrons qui embauchent à temps partiel. La part des actifs travaillant à temps partiel est passée de 8,2% en 1979 à 15% aujourd’hui. Cela concerne principalement les femmes : 29% des femmes qui travaillent sont à temps partiel.

Malgré tout l’individualisation ne se répand pas aussi vite que l’annualisation parce qu’en l’absence de salaire au rendement, le temps de travail est encore pour les patrons le moyen le plus efficace de contrôle du travail.

Fini les lois, vive les accords d’entreprise.

Depuis le XIX° siècle, les lois relatives au temps de travail ne pouvaient être transgressées, même avec l’accord des travailleurs.

Encore une fois c’est en 1982 que l’ordonnance prévoit en même temps la modification des décrets d’application de la loi des 40 h et la possibilité de déroger aux règles par accord collectif . Les décrets ne seront pas modifiés par de nouveaux décrets, ils tomberont d’eux mêmes par la signature d’accords. Dans ce cadre le résultat des négociations peut être moins favorable au salarié que le régime légal, alors qu’auparavant un accord ne pouvait qu’apporter des avantages supplémentaires : ainsi des accords de branche vont prévoir un contingent annuel d’heures supplémentaires supérieur aux 130 heures réglementaires.

Au début les possibilités de dérogation étaient limitées. Mais ces limites tombent vite. La Loi Delebarre de 1986, puis surtout la Loi Seguin de 1987 rendent la modulation possible par accord d’entreprise, sans autre contrainte. Elle laisse ainsi à chaque entreprise, à chaque syndicat, même minoritaire, la possibilité de régler ces questions essentielles.

La Loi Aubry parachève une évolution en l’aggravant. Avant, il fallait qu’existe dans l’entreprise une section syndicale représentative pour qu’un accord dérogatoire soit conclu. Vu l’implantation syndicale, notamment dans les PME, le nombre de travailleurs susceptibles d’être concernés était donc limité. Avec la possibilité de conclusion d’accords par un salarié mandaté par un syndicat, même en l’absence de section syndicale, on ouvre la porte à toutes les dérives favorables au patronat dans les PME, avec l’objectif que cela pèse sur les grosses boites.

La Loi Aubry s’inscrit dans une évolution profonde de la politique « sociale », et vise à prolonger en les accentuant sur certains points les évolutions des 16 dernières années. Chaque gouvernement a rajouté une pierre à un édifice dont l’objectif est unique depuis le début : adapter le temps de travail des millions de travailleurs aux besoins des bénéfices de quelques milliers de patrons .

Charles PAZ


La durée du travail : un combat de toujours.

Depuis le siècle dernier l’augmentation de la productivité est telle que la question se pose en permanence. Sur les 100 dernières années, elle a augmenté au point qu’il faut aujourd’hui 13 fois moins d’heures de travail pour produire un produit donné. Mais l’effet pour la classe ouvrière n’est pas obligatoirement favorable. Les luttes pour la réduction du temps de travail, pour le droit au repos, aux congés, existent depuis la naissance du mouvement ouvrier et la législation du travail en France naît sur ce sujet au milieu du XIX° siècle.

1841 - 8h par jour pour les enfants de 8 à 12 ans.

1848 - durée maximale quotidienne 12h.

1900 - diminution de cette durée à 10 h.

1906 - 6 jours maximum par semaine.

1919 - la révolution menace en Europe, il faut acheter la paix sociale : la loi des 8h par jour est adoptée. Mais on travaille 6 jours par semaine, donc 48 h.

1936 - la grève générale éclate au moment de l’élection du gouvernement de Front Populaire : adoption de la loi des 40h (8 heures sur 5 jours de travail) et 2 semaines de congés payés. Mais les patrons arrivent à maintenir la durée réelle bien au delà de cela avec des motifs de préparation de la guerre, puis de reconstruction, puis... La durée effective se situera en fait entre 44 et 45 h par semaine jusqu’en 1969 !

Avec la crise la durée réelle va diminuer pour atteindre 40,5 h en 1981, essentiellement par diminution des heures supplémentaires dans un premier temps, puis par l’introduction du temps partiel.

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